Rapport du commandant Courson de la Villeneuve, chef du
3e bataillon au 34e RI sur les événements de juin
1848.
Courson
de Villeneuve en 1860
23 juin
1848 : Parti le 22 du fort de Vanves pour aller monter la
garde au Palais du Luxembourg, je me disposai à retourner à mon poste le
lendemain 23 lorsque je reçus l’ordre de me rendre avec mon bataillon au
Palais de l’Assemblée Nationale. De là je fus dirigé par le Lieutenant
Général de Négrier sur la Place de la Concorde où je me trouvai réuni au premier bataillon. Quelques
instants après notre départ, je reçus l’ordre de m’adjoindre à un
bataillon, fort d’environ 200 hommes de la légion de la garde nationale
pour aller enlever les barricades élevées dans les rues culture Ste
Catherine et St Antoine en face de l’église St Paul.
Le général Clément
Thomas était à notre tête. Notre marche fut d’abord une ovation.
Partout nous étions accueillis par les cris mille fois répétés de
« Vive la république ! Vive la ligne ! »
Général Clément Thomas
Arrivé à
hauteur des rues Ste Catherine et culture Ste Catherine, j’envoyai la
première section de grenadiers commandée par le capitaine Mercier prendre
la tête de la colonne. Le détachement fut alors scindé en deux parties
bien distinctes : la première sous les ordres du général Clément
Thomas, devait marcher droit sur la barricade qui interruptait les
communications entre les rues culture Ste Catherine et St Antoine ;
la seconde, commandées par le capitaine Corneaux et composée de la
4e cie du bataillon et des voltigeurs devait tourner par la rue
de l’égout afin de prendre à revers la barricade de la rue St Antoine. Un
officier de gendarmerie servait de guide à cette petite colonne. Ces
dispositions arrêtées, le général Clément Thomas donna le signal de
l’attaque. Nous nous élançâmes à la baïonnette. Une vive fusillade partie
des fenêtres qui nous dominaient jetèrent un trouble dans nos rangs. Cinq
gardes nationaux, dont un lieutenant, le sergent Diot du bataillon
tombèrent le crâne fracassé. Environ 30 blessés, parmi lesquels se
trouvait le général dont la bravoure au dessus de tout éloge. Rien ne put
arrêter l’élan donné à la troupe. Les barricades furent enlevées en
quelques minutes. Ce double mouvement avait été si heureusement combiné
que les deux colonnes arrivèrent en même temps au point de
jonction. Maîtres des deux principales barricades, celles des rues
perpendiculaires à la rue culture Ste Catherine furent bientôt en notre
possession. Nos forces se trouvaient alors tellement disséminées, mon
bataillon était de 436 hommes, que le général Clément Thomas crût devoir
demander du renfort. Toutefois je gardai mes positions faisant fouiller
avec soin les maisons environnantes. Un commissaire de police dirigeait
cette expédition qui eût pour résultats de mettre entre nos mains une
quarantaine de prisonniers que les gardes nationaux emmenèrent plus tard à
l’hôtel de ville. Sur ces entrefaites arrivèrent le 48e de
ligne et le 4e bataillon de la garde nationale mobile. Grâce à
leur concours nous eûmes bientôt dissipé l’émeute. Le général Clément
Thomas se mit de nouveau à notre tête malgré sa blessure, et nous emmena
sur la Place de l’hôtel de ville.
24
juin : Le 24 sur les deux heures du matin, le général Duvivier
me fit appeler et m’ordonna d’aller avec mon bataillon prendre possession
de l’île St Louis et de m’emparer du pont marie qui relie cette ile au
quartier St Antoine. Le but que l’on se proposai était d’empêcher les
insurgés d’établir une communication entre la Cité, le faubourg StAntoine
et le faubourg St Marceau. M. Sautier, colonel de la 9e
légion et une trentaine de gardes nationaux de cette légion, commandés par
le capitaine Fécaut se réunirent à moi. Le colonel devait me renseigner
sur l’esprit des habitants et la configuration des lieux. Les 4
compagnies de droite du bataillon furent chargées d’occuper les ponts,
passerelles et de garder les principaux points de l’île St Louis. La
4e compagnie et les voltigeurs eurent pour mission d’enlever la
barricade construite sur le Pont Marie et celle qui interceptai le quai de
la grève et le quai des ormes. De cette manière les communications
restaient libres entre l’hôtel de ville et l’île StLouis. On devait plus
tard envoyer des bataillons et de l’artillerie pour m’aider à m’emparer du
quartier StAntoine. A 3 heures du matin j’étais en possession de la
barricade qui coupait le Pont marie. Je l’avais emporté presque sans coup
férir malgré les feux plongeants qui nous venaient des croisées situées en
face de nous. Presque aussitôt, un pièce de canon et un bataillon
d’infanterie commandé par le général Duvivier en personne débouchèrent par
le quai de la grève. Nos efforts combinés nous rendîmes promptement
maîtres des barricades de la rue des nonandières et du quai de la
grève. Ma mission était terminée. On me laissa seul avec l’ordre de me
maintenir dans cette position et de repousser toutes les attaques que les
insurgés pourraient tenter contre moi. J’essayai, mais vainement, de
pénétrer dans le quartier StAntoine. Je fis occuper militairement les
maisons qui par leur saillies sur le quai de la grève pourraient me
prendre à revers. Ce même jour, dans l’après midi, on m’envoya une
compagnie de la garde républicaine commandé par un chef de bataillon et
quatre compagnies du 52e RI commandées par le capitaine Giraud.
Ces messieurs avaient reçu l’ordre de se place sous mon commandement. Le
général Duvivier me fit dire au même moment de n’abandonner ma position
sous aucun prétexte et de la maintenir à tous prix. Pendant deux jours
j’eus à comprimer les efforts des insurgés qui essayèrent, mais en vain,
de franchir le quartier dans lequel ils étaient enfermés. Ils me
proposèrent de parlementer, mais leurs prétentions étaient exorbitantes et
inadmissibles (ils demandaient le renvoi des membres du pouvoir exécutif,
la dissolution de l’Assemblée Nationale, le licenciement de la garde
national…) Je leur intimai l’ordre de se rendre à discrétion. Les
hostilités recommencèrent plus vigoureusement que jamais. Cependant les
secours promis n’arrivaient pas. Les insurgés s’étaient emparés de la
mairie du 9eme arrondissement défendue par un petit nombre de gardes
nationaux ainsi que de la caserne de l’Ave maria. Presque tous furent
faits prisonniers. M. le capitaine Lirong et 8 des siens qui défendaient
la barricade de la rue Jeoffroy-Lasnier se réfugièrent près de moi et
vinrent se passer sous mes ordres. M. le colonel Sautier fit connaître ce
triste événement au général qui commandait l’hôtel de ville.
25
juin : Le 25 vers
les midi, une colonne composée d’artillerie et d’infanterie, commandée par
M. le colonel Bertrand du 24e léger déboucha par le quai de la
grève. Une des pièces battit en brèche une maison située à l’extrémité de
la rue de l’étoile en faisant saillie sur le quai des ormes. Cette maison
occupée par les insurgés et reliée au parapet du quai par une barricade,
me gênait considérablement dans mes mouvements. La porte enfoncée, je
chargeai le capitaine Sourdon de l’occuper militairement et de jeter 19
hommes dans la maison d’en face. Une barricade vivement défendue barrait
la rue de l’étoile. Il fallait agir avec vigueur. Malheureusement le
capitaine Sourdon fut tué en voulant forcer ce point. Il y eut un moment
d’hésitation. 17 hommes seulement parvinrent à pénétrer dans les maisons
désignées. Cependant le colonel Bertrand avait dégagé la mairie et avait
tourné l’ennemi. Une petit colonne composée de quelques hommes de la
garde mobile, de la garde républicaine, d’une section du 52e,
d’une section de la 4e compagnie du 34e et de
quelques voltigeurs de ce bataillon tournèrent par la rue des nonandières,
pénétrèrent jusqu’à l’Ave-maria et dégagèrent la troupe qui y était tenue
prisonnière. On me réitéra l’ordre de continuer à garder la tête du
Pont Marie. Je m’y plaçai avec mes voltigeurs. J’envoyai les compagnies du
52e placées sous mes ordres, fouiller les maisons et occuper
les principaux points occupés précédemment par les insurgés. Grand nombre
d’armes ont été prises et confiées au commandant de la garde républicaine
qui a dû les faire porter à l’hôtel de ville. A une heure, j’envoyai
sur le demande d’un représentant du peuple la cie des grenadiers du
52e (capitaine Pernot) et la 4e cie du
34e (Lt Lauzun) forcer les barricades élevées dans la rue
StAntoine. Le sous lieutenant Gardet fut charger d’escorter avec
quelques hommes les pièces d’artillerie qui prirent, je crois, la
direction de la place de la Bastille. Vers les 5 heures du soir, le
capitaine Lebrun, aide de camp du général de Négrier,
m’ordonna de le suivre pour me réunir aux troupes qui devaient s’emparer
du faubourg StAntoine. Je pris avec moi mes voltigeurs, la 3e
cie du 54e que j’avais placés dans le quartier StAntoine net je
marchai sur cette nouvelle direction.. Mes 4 compagnies de droite
restèrent dans l’ile StLouis où elles sont encore. On craignait toujours
que les insurgés cherchassent à nous tourner. Quelques instants après
mon arrivée sur la place de l’arsenal nous eûmes à déplorer la mort du
brave et excellent général de Négrier. Chargé par le capitaine Lebrun de
remettre le commandement en chef au colonel Bertrand du 24e
léger, je le cherchai vainement pendant une demi heure.
Le général Lebrun en 1870
C’est
alors qu’un capitaine d’état major, dont sans doute les recherches avaient
été aussi infructueuses que les miennes, m’ordonna de me rendre auprès de
M. Charbonnel et de trois autre représentants du peuple. Ces messieurs
m’intimèrent l’ordre de prendre le commandement des toutes les troupes
jusqu’à ce que M. le ministre de la guerre eut désigné un officier
général. Environ une heure après je fus assez heureux de rencontrer le
colonel Bertrand auquel je remis le commandement qui lui étais destiné. A
partir de ce moment je reçus l’ordre de protéger l’établissement de
l’arsenal où je suis encore. J’ai rendu au 52e les compagnies
de ce régiment qui avaient été placées sous mes ordres.
Je suis heureux de
profiter de cette circonstance, mon colonel, pour vous dire combien j’ai
eu à me louer de la bravoure et l’énergie des officiers, sous officiers et
soldats qui se sont trouvés sous mes ordres. Je citerai particulièrement
les militaires dont les noms suivent :
Garde Nationale :
Sautier, colonel de la 9e légion, très brave, partout des
premiers, m’a rendu de grands services ; Pécaud, capitaine de la
9e légion, a été le premier sur la barricade du Pont
Marie ; Lirong, capitaine 9e légion, énergique, m’a été
très utile par son dévouement et son zèle. 52e de
ligne : Giraud, capitaine Blessé sur le quai de la grève, très
brave. 34e
de ligne : Mercier,
capitaine des grenadiers, a eu le plastron de la tunique déchiré d’une
balle, a enlevé la barricade de la rue culture Ste Catherine, a désarmé un
insurgé ; Corneaux, capitaine des voltigeurs, a franchi un des
premiers la barricade de la rue StAntoine, commandait une colonne ;
Boris, capitaine de la 1er cie (blessé) officier très
énergique ; Lauzun lieutenant de la 4e cie, a enlevé 6
barricades de la rue StAntoine avec sa compagnie ; Gardet, sous
lieutenant de la 3e cie (blessé) a rempli 5 ou 6 missions
dangereuses avec succès ; Fix, chirurgien aide major, d’un dévouement
sans borne a pansé les blessés au milieu du feu ; Bessière, sergent
major de grenadiers, a montré un grand zèle et une grande énergie ;
Barrou sergent de grenadiers (blessé) a franchi un des premiers la
barricade de la rue culture Ste Catherine a fait 3 prisonniers ;
Gousseau, caporal de grenadiers, Pignaux grenadier (blessé) et Dubas
grenadier ont franchi les premiers la barricade de la rue culture Ste
Catherine ; Grisonnet sergent de la 4e cie, Delorme
caporal Bravard, fusilier, toujours en tête pour l’enlèvement des
barricades de la rue StAntoine ; Gardon sergent de la 4e
cie (blessé), a enlevé avec 20 hommes de sa compagnie une barricade ;
Callerand sergent de la 4e cie, a enlevé la barricade de la rue
de l’étoile avec 15 hommes et 4 voltigeurs ; Pater, fusilier de la
4e cie, entré le premier dans la maison de la rue de l’étoile
que l’on voulait occuper ; Morel sergent de voltigeur (blessé)
toujours le premier s’est particulièrement distingué au pont marie ;
Lombard (blessé), Varlet, Boucher, Penin, voltigeurs m’ont couvert de
leurs corps à la prise de la barricade du Pont Marie, braves et
dévoués ; Grange voltigeur a tué trois insurgés, très brave ;
Clément voltigeur a fait partie de presque toutes les expéditions, s’est
toujours bien montré ; Fauve voltigeur brave a tué 2
insurgés. Marine : Loreau, marin de la Belle Poule,
toujours en avant et se portait sur tous les points attaqués.
Je dois encore vous
signaler mon colonel la femme Anna Deshays qui a constamment suivi le
bataillon et a prodigué aux blessés les soins les plus empressés.
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