Le bataillon des chasseurs de la garde au combat de Ladonchamps

7/10/1870

Bloquée dans Metz depuis la défait de Saint Privat, l'armée du maréchal Bazaine a tenté, sans succès - et sans beaucoup de vigueur démontrée par son chef - de briser le blocus allemand. Au début du mois d'octobre, les réserves commencent à manquer. La bataille de Ladonchamps et la dernière tentative sérieuse de sortie. Elle met en ligne la Garde Impériale et c'est la bataillon des chasseurs de cette arme qui va s'y illustrer le plus.

Néanmoins, la bataille se solde par un echec, qui entrainera inéluctablement la capitulation de l'armée quelques jours plus tard.


Extrait de "Français et Allemands" (Dick de Lonlay)


Pendant que les voltigeurs de la garde s'emparaient des Grandes et des Petites-Tapes, le bataillon des chasseurs à pied de la garde impériale, sur la gauche de la division Deligny, s'est emparé, avec le même admirable entrain, du hameau de Bellevue dans lequel les Prussiens étaient fortement retranchés. Ce mouvement a été combiné avec celui des voltigeurs opérant sur la droite et celui des troupes du 6e corps opérant sur la gauche.
En arrivant aux grand'gardes de Sainte-Agathe, occupées par un bataillon du 28e de ligne, le commandant de Ligneville, chef du bataillon des chasseurs de la garde, à pris les dispositions suivantes : La lere compagnie, sous le commandement du capitaine Roché, se déploie en tirailleurs pour occuper l'espace entre la route et le chemin de fer de Thionville, avec mission de se porter en avant jusqu'à l'entrée de Bellevue, et de rabattre son aile droite pour menacer la retraite de l'ennemi, qui occupe fortement ce hameau ; la 2e compagnie, sous le commandement du capitaine Cavade, se déploie à gauche de la route et doit exécuter le même mouvement de conversion à gauche.
Les 3e, 4e, 5e et 6e compagnies doivent attaquer de front.

Aussitôt ces dispositions prises, le mouvement s'exécute. Le capitaine Roché déploie trois sections de sa compagnie en tirailleurs, en conserve une comme soutien, et porte sa troupe en avant. En arrivant aux avant-postes, M. Roché est informé par un officier commandant un petit poste du 28e de ligne, qu'il a devant lui une tranchée creusée dans des champs de luzerne, qui la masquent totalement.
Le capitaine Roché donne alors l'ordre à ses chasseurs de se porter en avant, sans tirer et, aux premiers coups de feu de l'ennemi, de se jeter au pas de course sur cette tranchée, baïonnette au canon, pour en déloger les soldats prussiens.
Cet ordre donné, la ligne de tirailleurs, suivie de la section de soutien, s'avance rapidement, les hommes à demi courbés, le fusil dans la main droite, le sabre-baïonnette au canon. Arrivée à trois cents mètres de la tranchée, la compagnie est accueillie par un feu nourri : sans tirer, elle se porte sur l'obstacle au cri de: « En avant! En avant! » poussé par les officiers et les sous-officiers et immédiatement répété par les hommes.
L'effet produit est décisif. L'ennemi se replie sur le village en suivant la tranchée ; les chasseurs sautent dans l'ouvrage et tirent sur les Allemands, qui n'ont pu se mettre à l'abri. En même temps, l'aile droite converse à gauche; la ligne de tirailleurs attaque le flanc du village et le déborde pour menacer la retraite de l'ennemi.

Capitaine Roché
Ici commandant
Photo Petit (Paris)


La 2e compagnie, sous le commandement du capitaine Cavade, opère de la même manière sur le flanc opposé de Bellevue, mais ce brave officier tombe blessé mortellement.
Le gros du bataillon, composé des 3e, 4e, 5e et 6e compagnies, malgré un feu très vif dirigé des maisons et des murs de Bellevue, que l'ennemi a crénelés, et bien qu'en butte aux projectiles des batteries de Semécourt, attaque vigoureusement cette première position.
Au même instant, sur la gauche, le commandant Marin, du 1er bataillon du 25e de ligne, avec ses compagnies de droite, le capitaine Granier et le sous-lieutenant Montillier, du même régiment, à l'extrême droite, viennent se mêler aux chasseurs à pied de la garde, pendant que, sur la droite, accourt également la 6e compagnie du 1er bataillon du 3e voltigeurs pour prendre part à la lutte.
En un clin d'œil, le village est envahi : chasseurs à pied, voltigeurs, lignards, escaladent les murs, enfoncent les portes avec un entrain irrésistible, pénètrent dans Bellevue, et y poursuivent l'ennemi de maison en maison. Une lutte opiniâtre s'engage. Le commandant de Ligneville, grièvement blessé à la main droite, remet le commandement au plus ancien capitaine du bataillon, M. Langbein, mais reste, néanmoins, au milieu de ses chasseurs, sa main blessée reposant sur sa ceinture bleue passée en écharpe autour du cou.

Commandant Albert de Ligneville
Ici capitaine, officier d'ordonnance de l'Empereur vers 1865
Photo le Jeune (Paris)

Un vieux chasseur, à trois brisques, médaillé de Crimée, d'Italie et du Mexique; est atteint au bras; en même temps, une balle lui fracasse en partie la mâchoire. Sans s'inquiéter autrement de cette double mésaventure, il s'élance sur l'ennemi qui l'a blessé, le saisit de la main - droite, le retient malgré sa résistance et le ramène prisonnier.
Au milieu du combat, le lieutenant Tasset tombe frappé mortellement; ses hommes le placent contre le revers d'un fossé. A cette vue, le capitaine Ropert, qui l'a eu dans sa compagnie comme sous-lieutenant et qui lui porte une vive affection, se penche sur lui pour l'embrasser. Au même instant, une balle ennemie le couche raide mort sur le corps de ce jeune lieutenant. Celui-ci, malgré des souffrances atroces (il a l'épine dorsale brisée), conserve sa gaieté et son calme et dit à ses camarades qui l'entourent : « Je donne ma montre au capitaine Langbein et les mille francs qui sont dans ma ceinture seront distribués aux hommes de ma compagnie. » On le fait transporter aux avant-postes, où il meurt en arrivant.

Lieutenant Charles Louis Marie Tasset
Photo Mevius (Rennes)

Dans ce combat se distinguent : le capitaine Langbein, les lieutenants de Champmorin, de Monard, de Puybusque; les sous-lieutenants Vincent, Vigy, Gardier; les sergents-majors Bans, Barthélémy; les sergents-fourriers Gabet, Barbier; lés sergents Barrat, Cavallié, Thomas, Ballandras, Hommage; les caporaux Catiniaux, Sanguinède, Paris, Pechet, Lemonde, Panon; le clairon Heinrich; les chasseurs Blache, Gamponnier, Lamboley, Pennaforte, Bardy, Guttin, Andréa, Daillez, Lemaitre, Creusot, Marrocq, Bodin, Lacoste, Lhomme, Calcet, Detant, Birebent, Pasquet. Tous appartiennent au bataillon de chasseurs à pied de la garde impériale.

Lieutenant Jules de Monard
Photo Prevot (Paris)

Les Allemands, rapidement délogés de Bellevue- se retirent au plus vite, sous la protection d'une batterie de quarante pièces établie à Semécourt. Le bataillon de chasseurs à pied de la garde impériale, sous les ordres du capitaine Langbein, se porte à cent mètres en avant de Bellevue et poursuit l'ennemi de ses feux jusqu'à ce qu'il ait disparu.
Dans ce mouvement offensif, nos intrépides chasseurs chargent, à la baïonnette, sur une batterie de campagne établie sous Semécourt, en chassent ou en tuent les artilleurs ; mais ils ne peuvent conserver ces pièces, devant un retour offensif de l'ennemi; n'ayant pas les moyens d'enclouer ces canons, qui sont à culasse mobile, ils doivent se borner à ramener, dans les lignes françaises, les chevaux de cette batterie tout équipés et tout harnachés.
D'après les ordres reçus, le bataillon des chasseurs à pied de la garde, devant s'emparer de Bellevue, ne pas le dépasser et s'y maintenir, pendant les opérations de la division de voltigeurs de la garde aux Grandes et- Petites-Tapes, le capitaine Langbein ramène ses chasseurs en arrière de Bellevue et les fait embusquer dans un fossé. À peine Bellevue a-t-il été évacué par les Allemands, qu'il a été aussitôt bombardé et est bientôt devenu la proie des flammes. Nos chasseurs évacuent alors cette position, pendant que la 8e compagnie du 3e régiment du génie (capitaine Richard), attachée à la division Deligny, qui a suivi le bataillon dans son attaque, se met à creuser une tranchée-abri en avant de Bellevue, pour se maintenir en cas d'un retour offensif des Allemands.
Ce travail, auquel viennent donner la main la 7e compagnie de sapeurs du 3e du génie, ainsi qu'un détachement de la 10e compagnie de sapeurs du même régiment, est promptement exécuté sous l'habile direction du colonel du génie Bressonet.
 
Jules Bressonnet
Photo Prevot (Paris)
 
On est déjà à couvert, lorsque les Allemands tentent un retour offensif et commencent un feu d'artillerie et de mousqueterie qui serait des plus meurtriers, si nos hommes n'étaient abrités par les parapets. Après plusieurs heures de combat, la 8e compagnie de sapeurs n'a que deux hommes blessés, et la 10e trois sapeurs légèrement atteints.
Là se distinguent les lieutenants Allote de la Fuye et Rogez, des 8e et 7e compagnies de sapeurs, ainsi que le-caporal Bezine, de la 10e compagnie.
 
Cette glorieuse journée du 7 octobre 1870 coûte au bataillon des chasseurs à pied de la garde impériale trois officiers tués : les capitaines Cavade, Ropert et le lieutenant Tasset,  quatre officiers blessés : le commandant de Ligneville, le capitaine adjudant-major de La Grandville; le lieutenant Cristiani de Ravaran, le sous-lieutenant Vigy; et cent trente-trois sous-officiers, caporaux et chasseurs tués ou blessés.

Sous Lieutenant Charles Léon Vigy
Blessé d'un coup de feu pénétrant par l'oreille droite
et sortant par la nuque du même côté.
Promu Lieutenant après la bataille, futur général de division
Photo Prevot (Paris)

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