Léon Noel PAYAN, né le 11/4/1834 à Digne
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Photo Berthier
(Paris) | |
Extrait des annales des Basses Alpes
(1889) :
Nous allons essayer de retracer la vie d'un des enfants de notre
pays alpin, dont la carrière militaire à été, sinon des plus brillantes, du
moins des mieux remplies.
Payan Léon-Noël est né à Digne, le 11 avril 1834,
de Joseph Payan et de Virginie Esmingaud. Son père exerçait le modeste métier de
maçon.
Noël était le quatrième enfant d'une famille nombreuse. Après quelques
années passées dans une école primaire, il fut placé au collège de Digne ; il y
acheva avec succès son instruction classique. Son goût pour l'histoire fut
souvent remarqué par ses professeurs.
En sortant de la vie studieuse, allait
arriver pour lui l'école de la vie.
Il avait vingt ans !.... A cet âge, on se
dévoue à la patrie, quand on est animé de la noble passion des armes. Payan en
avait les instincts et la belle vocation. En juillet 1844, il s'engagea et
choisit le 3e régiment d'infanterie légère, en garnison en France, où il resta
jusqu'en 1847, époque à laquelle il sollicita son incorporation dans le
bataillon dés tirailleurs indigènes d'Alger.
Son rêve venait de se
réaliser.
Nommé Sous-lieutenant au 1er régiment de
zouaves en 1851, il a l'occasion de s'illustre dans l'expédition des Babors
:
Le 23 mai, le 1er bataillon fait partie d'un détachement
destiné à proteger un fourrage dans les environs . On l'arrete sur une crête
reocheuse dominant le pays. Le colonel Bourbaki jette devant lui des petits
postes et se prépare à manoeuvrer, au moment de la retraite, pour entraîner les
Kabyles dans un piège et se donner l'occasion d'un mouvement offensif. Le
fourrage était terminé, le colonel fait cacher 4 compagnies derrière une ligne
rocheuse, après les avoir présentées aux Kabyles dans un mouvement de retraite
simulée. Avec les trois autres, il fait des petits paquets, tire des coups de
fusil, amorce les Kabyles qui, la veille, étaient parvenus sur le même terrain,
à faire beaucoup de mal à une troupe indigène. Les Kabyles se montrent d'abord
lentement, cependant ils arrivent et quelques uns se glissent jusqu'à quelques
pas des Zouaves. Le colonel fait alors battre en retraite ses petits paquets,
et, comme il le voulait, cette retraite s'opère avec précipitation et sans
ensemble. Les Kabyles prennent de l'audace et marchent sur la position. Alors
quand la retraite arrive sur la crête rocheuse, quand les Kabyles sont bien
lancés, Bourbaki se lève, commande la charge, tire son épées et se précipite en
entrainant le bataillon qui le suit avec un élan, un enthousiasme, une vitesse
que l'on ne saurait décrire. Les 6e et 7e compagnies sont jetées dans le ravin,
la 8e à droite, les autres tiennent la tête du ravin : 43 kabyles sont tués et
leurs dépouilles rapportées au camp. Le colonel remarqua dans cette charge MM de
Montroty
et Payan. (Historique du 1e régiment de zouaves).
Il est nommé porte-drapeau en 1854. Il fut le premier officier
qui arbora les couleurs nationales sur la Tour de l'Alma, au moment où l'armée
française opérait son débarquement en Crimée. L'étendard de la patrie ne pouvait
être placé en de meilleures mains :
Pêle mêle confondus, les zouaves des 1er et du 2e régiment
se précipitent vers la tour du télégraphe, les yuex fixés sur les canons russes.
Quand on est à 30 pas, le feu est mis aux pièces. Aussitôt tous les zouaves sont
à terre ; la détonation retentit, la mitraille passe, la fumée n'a pas disparu
que déjà les zouaves sont sur les Russes, abordent les canons et la tour
et engagent sur ce point un combat acharné. Le sergent major Fleury du 1er
zouaves, grimpe sur les échafaudages ; du haut de son cheval, le colonel Cler
lui passe l'aigle du 2e qui flotte alors au sommet. "Descendez ! descendez !"
crait-on u sergent major, tandis que les balles trouaient la soie du drapeau.
Mais lui, dans un délire d'enthousiasme repondit "Non ! je veux mourir ici". Une
balle le frappa en plein front et le renversa au bas de la Tour. Un zouave
s'élance alors sur le sommet e la tour avec le drapeu du 1er régiment, que lui
passe le sous lieutenant Payan ; un biscaïen brise la hampe de
ce drapeau dans ces mains ; l'intrépide soldat se tourne vers l'ennemi et défie
la mort pendnat quelques minutes (Historique du 1e régiment de
zouaves).
Pendant la période sanglante de cette gigantesque campagne
d'Orient, où trois armées coalisées combattirent contre les cohortes formidables
de la Russie, les repoussèrent si souvent et les retrouvèrent toujours si
braves, la vie de Payan fut remplie d'héroïques épisodes, de traits de courage
et d'impressions douloureuses, car il perdit son plus jeune frère, combattant à
côté de lui, et combien de chers et vaillants amis.
Cependant, si souvent et
si longtemps exposé aux dangers, le hasard ne devait pas soustraire notre jeune
héros à ses coups imprévus et le Dieu des combats le laisser indemne de toute
blessure. A la prise de la Tour Malakof, il reçut une plaie contuse à l'épaule
gauche et une plaie légère à la jambe gauche, le 8 septembre 1855.
Après la
chute de Sébastopol, il retourna en Algérie. En 1858, il obtenait le grade de
Capitaine.
A peu de temps de là, éclatait la guerre d'Italie, durant
laquelle Payan devait cueillir de nouveaux lauriers, en s'exposant à des dangers
bien des fois répétés.
Qui ne sait que, par suite d'habiles combinaisons,
qu'il est inutile de rappeler ici, le petit royaume de Sardaigne, placé sous le
sceptre d'un monarque intrépide soldat, aidé d'un ministre diplomate accompli,
était parvenu à conclure un traité d'alliance avec la France dans le but de
chasser les Autrichiens du Milanais et de la Vénétie, alors sous leur joug. La
conquête fut complète; l'armée française y déploya toute sa valeur,
malheureusement sans profit pour la France, puisque notre alliée d'alors, notre
amie devint plus tard notre ingrate voisine. L'oubli des services rendus ne
porte jamais bonheur.
Au commencement des hostilités, les zouaves se
trouvaient sur le théâtre de la lutte. En avril 1859, eut lieu le premier combat
à Melegnano. Nos troupes montrèrent leur courage et leur intrépidité en
face de l'ennemi ; elles y firent merveille. Les zouaves s'y battirent comme des
lions, suivant la parole d'un historien, et, pendant plusieurs jours, dans
diverses actions, Payan eut encore ses moments d'héroïsme, lui qui en avait si
souvent. - Quel est cet officier si intrépide, demandait un jour le général du
corps d'armée au colonel du 1er zouaves? — Payan, répondit le colonel, toujours
à la tête de mes soldats ; toujours prêt et victorieux. Lors de la bataille,
Payan commande la 4e compagnie d'avant garde et il est blessé à deux reprises et
est nommé officier de la Légion d'Honneur..
Pendant les plus chaudes journées, il donna raison à l'écrivain
des Dames galantes. Aussi bien à Marignan qu'à Palestro, qu'à Magenta, sur les
bords du Mincio, il fut d'un entrain admirable. Sur le grand champ de bataille
de Solférino, là même où l'aigle d'Autriche devait être blessée, il n'eut
pas une minute de repos. Toute la jour née à la tête de son bataillon, il fit
face à l'ennemi, le culbuta, le refoula, depuis l'aube jusqu'à l'heure où un
violent orage vint embraser l'immense choc des armées et mêler l'artillerie de
l'air, avec ses éclats électriques, au bruit retentissant et sinistre des engins
de destruction!... L'heure était suprême; la lutte acharnée, désespérée .Des
masses compactes d'hommes s'entre-tuaient : c'était le combat dans toutes ses
horreurs et ses terribles angoisses... Enfin les légions, comme épouvantées par
le sourd grondement du tonnerre et ne pouvant manoeuvrer sous une pluie
torrentielle, se retirèrent après de vains efforts. La terre était arrosée aussi
de sang humain. L'humanité avait perdu sa journée,
Mais au milieu de cette
gigantesque bataille, où trois armées prirent part, notre jeune héros avait reçu
des blessures profondes : une au genou droit, une à la cuisse droite et une
plaie contuse à la main droite ; mais la plus grave fut celle qui l'atteignit à
l'avant-bras gauche.
La guerre d'Italie terminée, la paix conclue, il
rejoignit la garnison de Blidah, cette charmante petite ville, surnommée la
Petite Rose. De là il fit partie de deux expédition algériennes. On peut dire
qu'il était dans son élément, car il connaissait la guerre d'Algérie dans toutes
ses particularités ; il en savait les fatigues, les rusés et les
obstacles.
Ces opérations algériennes terminées, Payan jouit d'un repos qui
se prolongea jusqu'en 1862. Cette année là, il embarque avec son régiment pour
le Mexique. Il s'illustre avec les zouaves au combat de Zacapoaxtlec
(12/9/1863); puis il fut désigné pour remplir les fonctions de capitaine au 77e
de ligne. Dans cette guerre.; les troupes françaises furent admirables. Au
combat de Jiquilpan, le 25 septembre 1864, Payan conduisit l'avant-garde
avec tant de vigueur et de sang-froid qu'il culbuta une partie de la 2e division
ennemie. Il n'est pas inutile de faire connaître que, par cette brillante
conduite, il fut cité à l'ordre général du corps expéditionnaire. A la bataille
d'Omexlea, aussi entraînant, aussi énergique, il reçut une fracture
double du tibia et du péroné de la jambe gauche. Ce n'était pas tout, car, dans
bien des affaires meurtrières, animé d'un élan irrésistible, toujours un des
premiers en avant, un des derniers dans la retraite, il se montra le fidèle
défenseur de notre étendard, jusqu'au jour où notre armée quitta le Mexique pour
se diriger vers le continent européen, Rien n'est bienfaisant comme l'air de la
terre natale. Il semble qu'une émanation de cette terre aimée nous suit dans
tous nos voyages et qu'en nous rapprochant de ses contrées se réalise la
gracieuse fable d'Anthée. Comme tous les montagnards, notre héros, espérant que
l'atmosphère vivifiante des régions de l'enfance réparerait la traînée de sang
répandue sur trois continents du globe, se rendit à Digne, aussitôt après son
débarquement.
Ce fut un jour de fête et de grande joie. Il revenait la
poitrine constellée d'étoiles d'honneur !... Si son corps avait souffert, comme
son coeur battait sous les coups de douces émotions !.... Mais il fallut quelque
temps pour qu'un changement favorable s'opérât et que la gracieuse fiction du
poète mantouan devint une réalité !!..
Quand sa santé fut raffermie, il fut
incorporé dans le 4e régiment de voltigeurs de la garde (24/6/1865) et, à
quelques temps de là, nommé Chef de bataillon au 6e
de ligne (3/8/1869). La vie active devait recommencer. La guerre éclata, et
quelle guerre!....
A suivre d'un bout à l'autre ce fier soldat, on passe en
revue presque tous les événements auxquels notre vaillante armée à pris part sur
la frontière allemande et les bords du Rhin. On apprend à quelles terribles
péripéties, à quels dangers elle fut exposée, à quelles vicissitudes elle fut
soumise, à quels remarquables combats elle assista. Mais le sol de la patrie
devait être pollué et arrosé 4e notre plus précieux sang. La fatalité le voulut
et la destinée nous jeta dans les griffes de nos cruels ennemis. Payan ne perdit
aucune occasion de se signaler.
Cité à l'ordre général (n° 20) au 4e corps
d'armée pour sa conduite les 14, 16 et 18 août 1870, à Metz, et à l'ordre
général (n° 24) du même corps d'armée les 31 août et 1er septembre, il fut
particulièrement remarqué par ses supérieurs, qui avaient pour lui la plus haute
estime. Malheureusement, ainsi qu'à ses frères d'armes, on l'obligea à ronger
son frein en lui imposant l'inaction, et un jour, après d'horribles souffrances
morales, il rendit son épée : il la rendit, mais brisée, laissant sur la lame
d'acier la trace du sang des ennemis irréconciliables de la patrie française, ne
voulant pas que l'Allemagne la reçut intacte. Perdre l'épée qui avait brillé à
tous les soleils du monde, c'était pour lui un deuil, une désespérance
!...
Prisonnier de guerre après la reddition de la courageuse cité de Metz,
il fut conduit en Prusse. Quels cruels moments que ceux de la captivité!... La
patience est souvent la vertu des forts ; mais, pour bien d'autres, l'heure
philosophique n'arrive jamais; elle s'absorbe dans d'éternelles
angoisses.
Cependant le jour de la liberté fut annoncé; il abandonna avec une
indicible joie cette maudite terre, tant exécrée, et, en mettant le pied sur le
sol de la patrie, il jura de se venger.
Mais les événements ayant interrompu
l'ordre normal des choses, sa captivité retardé son avancement, les récompenses
auxquelles il avait droit ne lui furent pas décernées ; un moment d'oubli voila
son nom héroïque ; enfin sa promotion au grade de Lieutenant-colonel arriva, le 29 juin 1873 ; il fut placé
dans le 106e de ligne, puis au 2e de ligne. L'heure de la justice avait sonné
et, le 38 juillet 1876, le grade de Colonel au 74e de
ligne lui était accordé. Ce n'était pas tout. Quelque temps après cette
promotion, on lui décerna la croix de commandeur dans l'ordre national de la
Légion d'honneur !
Il n'avait que 54 ans !
Des soldats de la trempe de
notre héros sont rares, même en notre France, où la bravoure est une qualité de
race, et certes les étoiles de général ne se seraient pas fait attendre
longtemps pour Payan, si ses forces n'avaient été chancelantes. A son énergie
native, avait succédé l'épuisement sous les coups redoublés de la souffrance.
C'est en vain qu'il opposait au mal la résistance morale. Comprenant enfin que
la lutte était inutile, il prit la résolution de demander sa mise en
disponibilité, puis sa retraite à titre d'ancienneté de service.
Sa carrière
était terminée.. Les frémissements des combats avaient ruiné son corps.
Il
est beau de se retirer ainsi chargé de lauriers, la poitrine scintillante de
signes glorieux ; il est beau surtout d'ajouter à ses vaillantes actions les
précieuses qualités d'honnête homme.
A Digne, il était très populaire. On
admirait en lui le brillant soldat, modeste artisan de son oeuvre, élevé et
grandi par sa position vaillamment conquise, sans que jamais un atome de fierté
eût altéré son noble caractère.
En ces dernières années, il s'était fixé à
Marseille, dans l'espoir que le soleil de la Basse-Provence retremperait ses
forces, que les brises marines infuseraient à son corps mutilé un regain de sève
nouvelle. Espoir déçu !... La nature était épuisée. Il expira dans la cité
phocéenne, sans même pouvoir saluer une dernière fois ses vallées natales, qu'il
aimait tant.
Les décorations du Colonel Payan :
Officier de la Légion d'Honneur
(il sera plus tard nommé Commandeur),
Officier de l'ordre de Notre Dame de la
Guadalupe (Mexique),
Officier du Medjidié, Médaille de Crimée,
Médaille
d'Italie, Valeur militaire de Sardaigne, médaille du Mexique.
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