LA PRISE DE PUEBLA

Après le renvoi du général de Lorencez, consécutif à l'échec du premier siège de Puebla (mai 1862), le nouveau commandant en chef, le général Forey, réorganise son corps d'armée, composé de deux divisions (généraux Bazaine et Felix Douay) et d'un brigade de cavalerie, pour un total de 28.000 hommes. Ces troupes quittent Orizaba le 22/02/1863 et arrivent devant Puebla dont l'investissement commence le 16 mars. Le forces mexicaine (22.000 hommes) avaient puissamment renforcé la ville par des fortifications externes, completées par l'organisation de la ville en "cadres" (îlots de maisons que séparaient des rues à angles droits) tranformées en autant de citadelles.

Le siège de la ville se caractérise par de nombreux combats au corps à corps pour la possession de ces petites places fortes. En particulier, le 6 avril 1863, le cadre 34 est la scène d'une lutte épique :

A 5 heures du soir, une avant garde de 30 hommes commandée par le lieutenant Galland pénètre vivement par une brèche insuffisante ; une section le suit avec le même entrain : un feu épouvantable de mitraille et de mousqueterie le remplit aussitôt la rue ; plusieurs hommes sont tués et les blessés se rejetant en arrière, paralysent l’élan de la colonne. Le commandant Carteret-Trécourt , saisissant un zouave par le bras, l’entraîne avec lui au milieu de l’espace qui sépare les deux cadres et que la mitraille balaye incessamment. Le capitaine Michelon, le lieutenant Avèque s’élancent sur ses pas : la capitaine Michelon est tué, le commandant Carteret, le capitaine Guillemain, le lieutenant Avèque sont blessés : 7 sous officiers, caporaux ou zouaves sont tués ; 30 hommes sont mis hors de combat. Le feu de l’ennemi se concentre alors sur San Marcos, empêche la colonne de déboucher et la force à renoncer à l’attaque.

Le lieutenant Galland se trouvait donc isolé dans le cadre 34 et pris comme dans une souricière. Il raconte :

« En arrivant en haut de la brèche je me trouvai en face d’une cour dont trois côtés étaient fermés par des chambres gardées et crénelées ; les chambres du premier étage étaient également occupées. Quelques Mexicains, encore dans la cour, furent repoussés à coups de baïonnettes et se réfugièrent dans la chambre à notre gauche où nous les poursuivîmes. Là nous en fîmes un petit massacre. Cette chambre communiquait intérieurement avec celle qui, faisant face du milieu, se trouvait vis à vis de la brèche. Nous la fîmes également évacuer et je me trouvai ainsi maître, avec une poignée d’hommes, de deux faces de cette cour ; restait la troisième, celle que nous avions à notre droite et qui était malheureusement très fortement occupée, ayant un fossé en avant et sans communication intérieure avec les chambres que nous occupions. Ce fut notre perte sans découvert. Une troisième sortie devenait inutile ; je résolus d’organiser mes hommes pour défendre ce que nous avions pris. Car, pendant tout ce temps là, au milieu du brouhaha, des cris des blessés, de la fusillade incroyable qui nous entourait, j’avais bien vu que personne ne nous suivait, que, seuls, les miens avaient pu passer, et que le succès, relativement beau que je venais d’avoir était en pure perte si je n’étais pas secondé.


Le lieutenant Galland
Photo Ken (Paris)
Galland à la pise de Puebla

Je voyais clairement la situation : ou la mort bête et inutile du soldat pris dans une souricière sans que son courage puisse lui servir à rien, ou la captivité après la reddition. Les conséquences me vinrent très vite à l’esprit et je m’arrêtai à cette détermination : tenir le plus longtemps possible pour permettre de nous dégager, si à un moment que je ne prévoyais pas, les nôtres pouvaient faire une sortie ; profiter de tous les incidents pour sortir de notre prison, et, au dernier moment, si nous devions en venir à cette dure extrémité, et quand il serait bien reconnu que nous ne pourrions plus faire autrement, capituler avec les conditions les plus honorables que nous pourrions obtenir.

Le nuit bien noire était venue. J’ordonnai de ne tirer qu’à coup sûr, et je fis mettre baïonnette au canon à quelques hommes (et je comptai beaucoup sur cette chance là), si les Mexicains étaient venus nous prendre de force dans nos chambres, devaient sortir les premier en les poursuivant dans la cour ; tous auraient suivi et, passant de nouveau la brèche en sens inverse, nous aurions pu rentrer dans la maison d’où nous étions sortis.

Les Mexicains continuaient à nous envoyer des balles en quantité, et nous fermaient littéralement les protes à coup de fusil. Du fossé qui était dans la cour et bien à l’abri, il nous envoyaient des grenades à main, dont les éclats étaient bien gênants ; un caporal et un homme furent tués ainsi, et le feu s’étant mis dans les vêtements du caporal, je le fis enterrer. De plus, pour s’éclairer et pour voir combien de nous restaient debout et comment nous étions disposés, ils lancèrent des feux de bengale. Un de ces feux surtout, un feu vert, me donna un spectacle dont je n’oublierai jamais la vigueur et la sauvage beauté. Ce feu éclairant seul les belles têtes des Zouaves à longues barbes, prêts à s’élancer, la baïonnette croisée ; les reflets verdâtres sur les canons, les ombres vivement portées, la colère peint sur tous ces visages, par terre les morts et les blessés, tout cela ne fut qu’une vision dont je me surpris à admirer l’étrange grandeur.

Vers 10 heurs rien n’était changé, sauf que le feu des mexicains avait un peu diminué, et que du côté des nôtres, il avait cessé complètement. Je ménageais mes cartouches et je faisais chercher un passage intérieur, ne pouvant me résoudre à attendre les bras croisés, le bon plaisir les libéraux. Vers 10h et quart, un officier mexicain s’aventura dans la cour en parlant. Personne ne tira, sauf deux coups partis de la chambre où je n’étais pas, et il fut manqué. Il s’avança et me dit en parfait castillan : « Abajo los armas, chingados ! » Je n’étais pas très ferré alors sur la langue du Cid, mais comme les plus laides choses sont celles que l’on apprend le plus facilement, et que je passais ma vie depuis huit mois à escorter des convois et à entendre parler des arrieros, il n’y a rien d’étonnant que j’aie compris l’insulte et trouvé ce monsieur peu parlementaire. Je sortis donc de ma tanière et après lui avoir dit « Chingado tu mismo ! » je lui logeai deux balles de mon petit revolver en pleine poitrine ; il fut foudroyé et je rentrai chez moi fort bien escorté, mais touché seulement par une balle à la hanche droite.

Il y eut alors une recrudescence de coups de fusil, auxquels nous ripostâmes de notre mieux, puis tout rentra dans un calme relatif qui me permit de continuer mes recherches de passage.

Pendant ce temps un officier mexicain qui parlait très bien le français conseilla aux hommes de se rendre : dix cédèrent, se sentant abandonnés sans cartouches et sans vivres, exténués par une défense faite dans des conditions impossibles. Je me trouvai donc réduit à six hommes (Segent major Merlier, Sergent Labrunie, Caporaux Combotte et Cheviet, Zouaves Jalley et Duvette) et mois septième : trois étaient blessés, une capitulation devenait de plus en plus certaine, mais je voulais en retarder le moment le plus longtemps possible. Instruits probablement par les transfuges, les Mexicains recommencèrent le feu et nos cartouche diminuaient de plus en plus ; on perçait le plafond sur nos têtes et j’ai su plus tard que leur intention était de nous écraser dessous ; en attendant ils nous canardaient d’en bas et d’en haut. La situation se tendait de plus en plus, il y avait six heures que nous tenions, c’était humainement tous ce qu’on pouvait exiger de nous. Je voyais du reste que deux pièces de montagne allaient faire brèche et nous ensevelir dans notre réduit. »

Le lieutenant Galland prévint ses hommes qu’il allait parlementaire, le sergent Major Merlier, qui se trouvait là avec le fanion, en brisa la hampe et mis la fanion dans sa grande culotte.

« Ces tristes dispositions prises je m’avançai au milieu de la cour, où je fus assez mal reçu. On me conduisit dans une chambre au dessus de celle que nous occupions et je trouvai le général La Llave et quelques officiers. Je m’avançai, mon sabre à la main et je lui fis ce discours qui est bien plutôt celui d’un fou que celui d’un homme sensé : « Je suis dans la chambre au dessous de vous, j’ai six hommes, trois sont blessés et je n’ai plus que quelques cartouches ; si vous m’accordez que mes six hommes et moi nous conserverons nos armes, je vais aller chercher mes cinq hommes et nous serons vos prisonniers. Si vous me refusez ce que je vous demande, j’irai le rejoindre comme c’est mon droit de parlementaire, et vous viendrez nous prendre. »… et j’avais l’air sans doute très convaincu de ce que je disais car le général La Llave m’embrassa sur les deux joues et m’accorda tout ce que je demandais. »

les sept prisonniers furent conduits à l’archevêché, près d’Ortéga, le général en chef mexicain, qui les reçut fort bien et les retint pendant trente jours.

Retour