La défense de la ferme de Saint Hubert (18/8/1870)
80e et 85e régiments d'infanterie
Le 16/6/1870 a lieu la bataille de Rezonville / Mars la Tour qui voit l'armée française pourtant en supériorité numérique, incapable de bousculer les corps prussiens lui bloquant la route de Verdun. Deux jours plus tard, l'armée Prussienne regroupée attaque les troupes française qui défendent les lignes de Saint Privat à Rozerieulles. Lors de la bataille, les 2e et 3e corps d'armée (Frossard et Leboeuf) défendent l'aile gauche française derrière le ravin de la Mance sur les position préparées autour de la ferme de Saint Hubert et du Point du jour. Les troupes résistent toute la journée et infligent des pertes importantes aux prussiens. Mais faute d'agressivité suffisante qui aurait pu permettre de contre attaquer l'aile droite des Prussiens et surtout en raison de la victoire des Prussiens et Bavarois sur leur aîle gauche, l'armée doit retraiter à Metz, ce qui scellera finalement sa perte.
La bataille qui se déroule sur ces positions témoignent de la solidité du troupier français et de la supériorité de son armement individuel. Lors du combat de la ferme de Saint Hubert, les deux régiments de la brigade, les 80e et 85e régiments d'infanterie se distinguent particulièrement.
1/ Rapport du Colonel Janin (80e RI)
Le réveil éclate en fanfares
joyeuses; tambours, clairons et trompettes sonnent à la corvée. On court à l'eau
et aux diverses distributions ; le temps est magnifique et le soleil levant
éclaire au loin les blanches lignes des tentes au-dessus desquelles s'élève la
fumée des cuisines en plein air. Cependant là-bas derrière Gravelotte, sortant
du ravin de Gorze, des masses profondes se meuvent et se déploient. C'est
Mac-Mahon qui arrive! C'est Canrobert qui se met en mouvement ! Ce n'est certes
pas l'ennemi; tout est tranquille aux avant-postes, et les reconnaissances n'ont
rien signalé ! C'était l'armée prussienne qui
commençait son grand mouvement de conversion à droite. Vers 9 heures enfin, les aides de camp
circulent à cheval, les marches de régiment retentissent, on prend les armes.
Les 3e, 5e
et 6e compagnies du 1er bataillon, sous les ordres de M. le commandant Bertrand,
se portent à une centaine de mètres environ de leur emplacement et, sur l'ordre
du général de division, y établissent une tranchée-abri.
Les 1ere et
2e compagnies du même bataillon, sous les ordres de M. le capitaine Francey,
prennent position entre les deux maisons du Point-du-Jour et les relient par une
tranchée.
La
4e compagnie du Ier bataillon, capitaine Raynal de Tissonière se déploie en
tirailleurs, la droite au coude que la route forme en descendant vers
Saint-Hubert, la gauche au Point-du-Jour.
Le IIIe bataillon reste en
réserve derrière la crête. La batterie de mitrailleuses de la division et une
des batteries de 4 (capitaine Bonnefond) prennent position en deçà de la route
derrière la compagnie Raynal et y construisent à la hâte quelques épaulements.
Des bataillons du 85e et du 44e établissent une tranchée-abri dans le
prolongement de celle du 80e et en avant de la ferme de
Moscou.
Quelques tirailleurs ennemis se déploient devant Gravelotte et disparaissent dans le ravin, ou se dirigent vers le bois des Génivaux, poussant devant eux les petits postes de la division de Castagny. Des batteries prennent place à gauche et à droite du village de Gravelotte; en arrière, sur la route qui va à Rezonville, d'épaisses colonnes paraissent immobiles et l'arme au pied.
Vers midi, quelques coups de feu et bientôt une vive fusillade annoncent que la compagnie Lacombe est aux prises avec les tirailleurs ennemis. De part et d'autre, la canonnade commence; notre batterie de 4 et nos mitrailleuses essayent en vain d'atteindre les batteries ennemies qui, placées hors de leur portée, les écrasent de leurs projectiles. A deux heures, désemparée, à bout de munitions, perdant ses hommes et ses chevaux, notre artillerie se replie. La 2e section de la compagnie Raynal se place en réserve derrière les épaulements que cette retraite laisse libre; la 1er reste déployée dans le fossé qui borde la route.
En ce moment la compagnie
Lacombe, ayant terminé ses munitions, se replie sur la ferme Saint-Hubert, et
les tirailleurs ennemis franchissant le ravin, commencent à apparaître sur les
mamelons qui dominent cette ferme à droite et à gauche.
Le IIe bataillon
ouvre son feu, mais il n'a de place que pour deux compagnies; le reste du
bataillon, massé dans les cours et les jardins de la ferme, reçoit, sans pouvoir
y répondre, le feu plongeant des tirailleurs ennemis; une batterie prussienne
tire sans relâche sur les bâtiments de Saint-Hubert, couvrant les défenseurs
d'éclats et de débris. Pressé de tous côtés, ayant perdu plus du tiers de son
monde, presque cerné, M. le commandant Molière se décide à ordonner la retraite,
et le IIe bataillon remontant vers la voie romaine, va se reformer en arrière de
la crête. M. le sous-lieutenant Martin de la 6e du IIIe était tombé mort près de
la ferme, et M. le capitaine Lamarle atteint de deux blessures, averti
trop tard du mouvement de retraite, tombait avec quelques-uns de ses hommes, au
pouvoir de l'ennemi.
Nicolas Lamarle Né le 7/12/1823 à Briey. Sous officier sorti du rang, nommé Lieutenant le 31/12/1853, il a servi en Crimée et en
Italie où, officier aux voltigeurs de la Garde, il a été blessé à la
bataille de Magenta lors de la prise de la gare. Il a été fait chevalier
le la Légion d'Honneur le 17/6/1859 ("19 ans de services effectifs, 4
campagnes, une blessure"). Fait Capitaine le 21/7/1862, il sert au 80e
régiment d'infanterie en 1870 et s'illustre dans la défense de la ferme de
Saint Hubert. Après la guerre, il est mis en non activité suite à ses blessures
reçues à Gravelotte. Il est décédé en 1887
Parmi ces derniers défenseurs de Saint-Hubert, il convient de citer les sergents Grès et Jammet qui, préférant la mort à la captivité, continuèrent à tirer sur l'ennemi en refusant de se rendre jusqu'à ce qu'ils fussent l'un et l'autre massacrés. L'adjudant Lequien, le sergent-major Palat et nombre de braves sous officiers payèrent aussi de leur vie une héroïque défense. M. le commandant Molière fut atteint au bras et à la tête; M. le capitaine Sajous fut renversé par l'explosion d'un obus. M. le lieutenant-colonel de Langourian, eut son cheval tué sous lui; M. le lieutenant Capbert fut gravement atteint au bras.
Charles Emile Sajous Né le 13/9/1834 à Bastia, fils d'officier, Charles Sajous rejoint le 80e régiment d'infanterie comme Sous Lieutenant à sa sorti de l'école de saint Cyr en 1856. Il a fait la campagne d'Italie et a servi en 1867 aux corps d'occupation de Rome (ce qui lui vaut la croix de Mentana). La guerre de 1870 le trouve Capitaine, grade qu'il détient depuis juin 1870. Durant la bataille du 18/8/1870, il est blessé à l'épaule droite par un eclat d'obus. Ses états de service mentionnenet cependant une contusion légère. Il finit sa carrière comme Lieutenant Colonel du 40e régiment d'infanterie (entre 1888 et 1892), officier de la Légion d'Honneur. Il est mort en 1902. Photo Courthial (Paris) |
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Il était 3 h. 30; sur le
front du 80e l'ennemi était maître de Saint-Hubert et de là dirigeait ses feux
sur la compagnie Raynal, qu'il prenait d'écharpe, ainsi que sur les 3e, 5e et 6e
du Ier bataillon, qui, de leur tranchée-abri, ripostaient avec avantage.
L'artillerie ennemie prenant ces tranchées pour objectif, essaya en vain de les
rendre intenables pour les braves troupes qui les défendaient. M. le commandant
Bertrand, M le capitaine Grangié, furent frappés mortellement. M. le lieutenant
Digonnet fut blessé gravement et dut quitter le champ de bataille. M. le
capitaine adjudant-major Apchié prenant le commandement, dirigea jusqu'au soir,
avec le plus grand sang-froid, le feu de ces trois compagnies sur la ferme
Saint-Hubert.
Cependant une même ligne de tirailleurs s'avançait à découvert,
sur le front de la compagnie Raynal sans tirer et en faisant des signaux;
bientôt une batterie, escortée par un escadron, se plaçait derrière cette ligne
et ouvrait son feu dans la direction du bois des Génivaux. Trompée par une
ressemblance de tenue et aussi par un avis venu du 2e corps, la 4e du Ier
prenant ces tirailleurs pour des chasseurs à pied, et cette batterie pour une
batterie française, suspendit son feu dans cette direction, se bornant à
repousser par des salves bien ajustées, les efforts d'une colonne prussienne
qui, se formant chaque fois à l'abri des bâtiments de Saint-Hubert, tenta à
plusieurs reprises de prendre pied en deçà de la route afin de marcher sur le
Point-du-Jour.
La grande batterie ennemie, établie à droite de Gravelotte,
battit en vain de son feu les positions occupées par la 4e du Ier et lui fit
subir des pertes cruelles sans ébranler sa constance. Mais les prétendus
chasseurs à pied s'étaient couchés à terre et bientôt leurs balles les
signalaient comme ennemis. La 4e du Ier ouvrit alors un feu à volonté sur eux et
sur la batterie qu'ils couvraient.
La batterie ayant perdu presque tous ses
chevaux, emmena deux pièces, laissant les autres ainsi que ses caissons à 600
mètres environ du front de la compagnie, mais toujours sous la protection des
tirailleurs qu'il était difficile d'atteindre à terre et surtout des occupants
de la ferme Saint-Hubert.
Il était 4 heures, la 4e du
Ier faisait demander des cartouches : le IIIe bataillon reçut l'ordre d'aller
l'appuyer et se porter en avant, sous les ordres de son chef M. le commandant
Maréchal; conduit par le colonel Janin, il parcourut environ 300 mètres sous une
grêle d'obus et de balles, et arriva dans le plus grand ordre sur la route où il
devait prendre position. Les abris manquaient pour embusquer tout le monde; les
officiers se multipliaient pour assigner à chacun sa place et, pendant ce temps,
les tirailleurs ennemis ajustant tout ce qui n'était pas en capote, atteignirent
en quelques minutes tous les officiers présents sur ce point. M. le capitaine
adjudant-major Sourdrille fut frappé mortellement d'une balle au ventre. M. le
capitaine Moynier, M. le lieutenant Dieu, M. le sous-lieutenant Huguet
furent atteints plus ou moins gravement. M. Dieu reçut trois balles dans
le corps et deux dans ses vêtements. M. le commandant Maréchal, M. le lieutenant
Renard furent frappés peu après, voulant se déplacer pour donner
quelques
ordres. M. Maréchal gravement au bras droit, M. Renard mortellement
à l'épaule.
Alexis Leon Dieu Né le 2/12/1837 à Paris, il est Saint Cyrien de la promotion
de l'Indoustan (1857-1859). Sorti dans un mauvais rang de l'école (223e
sur 240), il est affecté au 80e régiment d'infanterie comme Sous lieutenant le 1/10/1859. Lors de la guerre de 70, à la bataille de Gravelotte, son
bataillon est envoyé en soutien du 1er bataillon du régiment qui défend la
ferme de Saint Hubert. Les hommes doivent parcourir 300 metres à découvert
sous le feu des prussiens et tous les officiers sont touchés dans
l'assaut. Dieu reçoit trois balles dans le corps et deux dans ses
vêtements. Ces états de service détaillent ses blessures : "Un coup de
feu à l'épaule gauche, un coup de feu à l'avant bras gauche et un coup de
feu à l'abdomen"... Pour son action, il est décoré de la croix de
chevalier de la légion d'honneur. Laissé grièvement blessé à l'ambulance,
il est capturé par les Allemands à la capitulation de Metz, mais il
parvient à s'évader le 31/10/1870, pour rejoindre les armées de province.
Il est alors nommé capitaine au 13e bataillon de marche des chasseurs à
pied. Après la guerre, son grade est confirmé (Capitaine en date du 10/7/1871) et il sert au 13e
bataillon de chasseurs, puis passe au 21e bataillon de chasseurs à pied en
1872. Il va alors servi en Algérie entre décembre 1872 et juillet
1873. Le 7/3/1885, il est nommé Chef de
bataillon, grade dans lequel il finit sa carrière comme officier de
la légion d'honneur (promu le 28/10/1888). Il est mort le
14/2/1919.
Son début de
carrière est assez long, car il n'est nommé Lieutenant que le 7/8/1867. C'est dans ce grade qu'il
pose dans la nouvelle tenue d'infanterie de 1868, orné de la croix de
Mentana qu'il a reçue lorsque son régiment était en Italie en 1867.
Les 4e et 5e compagnies du IIIe
bataillon avaient renforcé la ligne formée par la 4e du Ier et, par suite de la
blessure de M. Maréchal, passaient sous les ordres du capitaine Raynal de
Tissonière; les 1ere, 2e et 3e compagnies de ce bataillon, dirigées par le
colonel, avaient renforcé les 1ere et 2e du Ier entre les deux maisons du
Point-du-Jour et à gauche de la 2e. Le lieutenant-colonel de Langourian s'étant
porté de sa personne sur ce point, le colonel put aller s'assurer par lui-même
de l'état où se trouvait le IIe bataillon après sa défense de Saint-Hubert.
Bientôt atteint lui-même d'un éclat d'obus au poignet, M. de Langourian
dut remettre le commandement aux mains du capitaine Francey.
De ce côté
aussi, les officiers payaient largement de leur personne: MM. le capitaine
Barthe, les lieutenants Cotay, Puech, Bernardeau, Lesbros, étaient successivement
blessés; partout le 80e faisait face avec vigueur aux attaques réitérées de
l'ennemi.
Emile Joseph Marie Le Mordan de Langourian Né le 21/09/1820 à Erquy (Côtes du nord), cet officier, sorti de Saint Cyr en 1840 Il a été nommé Lieutenant Colonel du 80e régiment d'infanterie, le 12/8/1866. C'est comme commandant en second de cette unité qu'il fait la première campagne de 1870 à l'armée de Metz. Le 18/8/1870 à Saint Privat, il a d'abord son cheval tué sous lui, puis il est blessé au poignet droit par un éclat d'obus. Blessé, il est évacué et echappe ainsi à la capitulation de Metz pour rejoindre les armées de la République. La suite de sa carrière est décrite sur une page spéciale. Photo Malardot (Metz) |
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Antoine Cotay Né le 21/03/1830 à Varennes (Allier), cet officier sorti du rang a fait toute sa carrière sous l'Empire au 5e régiment léger, devenu 80e régiment d'infanterie lors de la campagne de Crimée. Sergent, il a été blessé lors de l'assaut de Sébastopol le 8/9/1855 d'un éclat de bombe à l'omoplate, ce qui lui a valu la médaille militaire.
Le 18/8/1870 à Saint Privat, il est Lieutenant (depuis avril 1867) et est blessé de nouveau par une balle provoquant une plaie contuse au bras droit. Revenu de captivité après la capitulation de Metz, il passe au 121e régiment d'infanterie, est promu Capitaine et reçoit la croix de la Légion d'Honneur en 1879.
Photo Bellotti (Saint Etienne) |
Un bataillon du 8e de ligne (2e corps), envoyé vers 6 heures pour l'appuyer, s'arrêta à 200 mètres en arrière du coude de la route et ouvrit le feu sur le 80e par derrière, sans l'ébranler un instant. M. le sous-lieutenant Tournebize de la 4e du Ier, sur l'ordre de son capitaine, s'élança sous une double grêle de balles, et alla prévenir ce bataillon de son erreur, avant qu'il n'eût fait trop de mal; ses officiers le portèrent en avant et il dut, faute de place, se coucher à terre derrière les positions déjà trop remplies par trois compagnies du régiment.
La nuit venait, l'ennemi
redoublait ses efforts; le 2e corps était vivement pressé vers Sainte-Ruffine et
Rozérieulle. Le canon tonnait presque derrière notre gauche, la fusillade s'y
faisait entendre. À droite, le corps Canrobert débordé était contraint de se
replier vers Plesnois. Le corps Ladmirault découvert sur sa droite, commençait à
s'engager dans le vallon de Châtel. M. de Moltke, se mettant à la tête du IIe
corps prussien arrivé à l'instant de Pont-à-Mousson, le lançait sur Moscou et le
Point-du-Jour afin de venir couper la ligne de retraite de l'armée vers Metz.
L'énergie et la constance de la division Aymard rendirent ces précautions
inutiles; en vain un parti de cavalerie tenta une charge qui échoua avant d'être
partie ; en vain une colonne sortie de Saint-Hubert et arrivée, grâce à
l'obscurité, à quelques mètres du front des 4e du Ier, 4e et 5e du IIe attaqua
ces compagnies à la baïonnette; l'ennemi fut repoussé, rejeté en désordre dans
le ravin, et le 80e resta maître de ses positions.
C'est à ce moment que M.
le capitaine adjudant-major Apchié, croyant le drapeau compromis, donnait
l'ordre à M. le lieutenant Guet (qui l'avait pris des mains du porte-drapeau,
Klessy, blessé au moment de la prise de Saint-Hubert) de le rapporter au IIe
bataillon et tombait mortellement frappé d'une balle pendant qu'il donnait à M.
Guet ses instructions pour la route qu'il avait à suivre.
Cependant, le moment venait
de relever ces braves troupes. La marche de la division Aymard et celle du 80e
se firent entendre vers Châtel, accompagnées du refrain de la retraite. Un
bataillon du 66e (2e corps) vint remplacer au Point-du-Jour les compagnies du
80e. Le III° bataillon et les 1ere et 2e du 1er se ralliant derrière les débris
enflammés des deux maisons, se portèrent vers Châtel-Saint-Germain, tandis que
la 4e du Ier rejoignait dans la tranchée-abri le demi-bataillon dont elle
faisait partie, resté sous les ordres de M. le capitaine Renouard ; M. le
capitaine Raynal de Tissonière prit le commandement de ce détachement; il
était 11 h. 30 environ. Dans le ravin du côté de Saint-Hubert, on entendait
comme un bruit de foule; le canon se taisait; quelques coups de fusil isolés,
rompaient seuls le silence, La ferme de Moscou brûlait à droite et la flamme
atteignant l'étable à porcs arrachait à ses animaux des cris stridents. A
gauche, les bâtiments du Point-du-Jour n'étaient plus qu'un brasier. En face,
quelques maisons de Gravelotte étaient en feu.
Un bataillon du 44e de ligne,
un bataillon du 85e, les 3e, 4e 5e et 6e du Ier du 80e garnissaient la tranchée
abri de Moscou à la voie romaine. Un bataillon du 66e occupait la route depuis
sa rencontre avec la voie romaine jusqu'au Point-du-Jour, un autre se repliait
en potence face à Rozérieulles. En seconde ligne, derrière ce dernier, le IIIe
bataillon du 66e et, derrière les tranchées abri le 8e de ligne en entier, les
uns et les autres couchés à terre. Le 3e corps, à l'abri de ce rideau,
s'écoulait à son tour par Châtel-Saint-Germain, se retirant vers Lessy.
Vers minuit,
comptant sans doute trouver le plateau désert, une colonne ennemie sortie de
Saint-Hubert, s'avançait en silence vers la tranchée du 80. Accueillie presque à
bout portant par une décharge de ce bataillon, surprise et déconcertée elle se
rejeta en désordre sur le fond du ravin, poursuivie par une vive fusillade de
toute la première ligne française dont les sonneries répétées des clairons
arrêtèrent bientôt le feu.
Ce fut le dernier effort des Prussiens entre
Moscou et le Point-du-Jour, et c'est à tort que dans leurs récits ils se vantent
d'avoir enlevé ces positions le soir; s'ils l'eussent fait, ils n'auraient
certes pas manqué de rendre très pénible la retraite de l'armée sur le
Saint-Quentin, retraite qui continuait encore alors qu'il était grand jour le
19, et qui ne fut nullement inquiétée.
2/ Extrait de "La manoeuvre de Saint Privat" Général Bonnal
La ferme de Saint Hubert que le 2e bataillon du 80e RI occupait depuis la
veille, se compose d'un corps de logis à dexu étages, de deux hangars et d'une
cour entourée de murs élevés dans laquelle on pénêtre par une porte cochère. A
l'est de la ferme et contigu à la cour est un verger en forme de triangle
rectangle dont un des côtés , en bordure de la route, mesure environ 180 metres
et l'autre 120 metres. Le verger a pour clôture au sud et à l'ouest des murs
hauts de 2 metres et au nord, un mur bas à hauteur d'appui.
On avait percé
des meurtrières dans le mur ouest de la cour , barricadé la porte cochère et
fait deux brêches étroites dans le mur ouest du verger pour le faire communiquer
directement avec la cour de la ferme.
A partir de 2h45 un certain nombre de batteries allemandes dirigèrent leurs
tirs sur la ferme de Saint Hubert et mirent de ce fait les défenseurs dans une
situation des plus pénible.
De forts groupes d'infanterie allemands étaient
parvenus un peu avant 3 heures à 250 metres des faces sud, ouest et nors de la
ferme, et tiraient sans relâche sur toutes les ouvertures visibles.
Tous à coup, un hurrah, le feu cesse, c'est l'assaut. Subitement, sur un demi
cercle de 200 à 300 metres de rayon, une nuée de Prussiens qui courent sur la
ferme en criant. Le terrain en fut bientôt couvert : c'était comme une
fourmilière, ils étaient bien 3000 à 4000.
Tou d'abord nos hommes qui
s'étaient tant bien que mal abrités contre les obus, reprennent leurs poste et
tirent dans le tas : peine perdue ; rien n'y fait; le flot monte rapidement et
va tout submerger. Alors on se précipite vers toutes les issues et ceux qu'une
blessure ou un retard à vider les étages de la ferme ne font pas tomber aux
mains de l'ennemi s'achappent dans la direction de l'est.
Philippe Baltazard Georges Raynal de Tissonnière Né le 6/9/1833 à Theylade (Cantal), ce Saint Cyrien (promotion 1852-1854) sert au 80e régiment d'infanterie depuis janvier 1855, faisant campagne en Orient, en Italie et au corps d'occupation de Rome. Capitaine depuis 1862, sa brillante conduite à Gravelotte lui vaut une promotion comme Chef de bataillon au régiment, le 24/8/1870. Capturé à la capitulation de Metz, il poursuit une brillante carrière, terminant général de division. Il est mort en 1905. Photo Chardonnet (Lyon)
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3/ Rapport du Colonel Plauchut (85e RI)
Colonel Plauchut
85e régiment d'infanterie
Le Ier bataillon (commandant Luccioni) se trouve en première ligne, encadré à droite par le 44e, à gauche par le 80e; ce bataillon reçoit l'ordre de tenir à tout prix.
A 10 heures environ, M. le lieutenant-colonel Fauchon et M. le commandant Luccioni se rapprochent de quelques centaines de mètres de la ferme Saint-Hubert, et ce dernier officier supérieur fait exécuter par le 1er bataillon, qui l'a suivi, des tranchées-abris qui vont lui être d'un grand secours ; vingt minutes suffisent pour accomplir le travail. Les 1ere et 2eme compagnies sont envoyées plus en avant, du côté de la ferme occupée elle-même par un bataillon du 80e ; elles sont placées un peu obliquement à la direction des quatre compagnies restées dans les tranchées.
L'armée ennemie, ayant hérissé de batteries les crêtes qui nous font face, commence un feu des plus nourris. Dans la plaine, la mousqueterie prussienne, bien dirigée, fait pleuvoir des balles sur les défenseurs qui veulent riposter. Mais, dès le début, une poignante inquiétude s'empare de nos troupes ; le bruit court qu'un bataillon de chasseurs opérant devant nous se trouverait entre deux feux. Quelques officiers voient là des Prussiens ; nos soldats n'osent plus tirer. Cependant les moments sont précieux; des pelotons ennemis dépêchés sur la gauche nous font subir presque d'enfilade un feu meurtrier. C'est alors que le commandant Luccioni, que tout le monde a admiré, n'écoutant que son courage, s'élance par-dessus le parapet et seul, affrontant mille morts, franchit une distance de 100 mètres au pas de course sur le plan incliné du côté de l'ennemi, dont il devient pendant quelques minutes le seul point de mire. Mais que lui importe ; il distingue tout, voit qu'il n'y a là que des Prussiens; il les juge, il les compte et revient enfin, uniquement fier de pouvoir désormais frapper sûrement.
Jean Baptiste Sauveur Luccioni Né le 9/11/1824 à Bonifacio, Luccioni est un officier sorti du rang, déjà blessé à Solférino où il a été décoré de la Légion d'Honneur.
"Tout à coup, le commandant Luccioni, dont tout le monde a déjà admiré la brillante conduite depuis le commencement de la bataille, sort des rangs, et, n'écoutant que son courage, s'élance par-dessus le parapet de la tranchée. Seul, il se jette au milieu des balles et de la mitraille, à la rencontre de ce bataillon, qui fait éprouver aux siens de si vives angoisses.
En ce moment, le bruit du canon, le déchirement strident des mitrailleuses, les explosions des obus, les sifflements des balles, les cris des mourants, tout est oublié. Les yeux et les coeurs suivent ce vaillant officier qui, affrontant mille morts, disparaît enfin dans la fumée.
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En effet, le feu recommence à l'instant même et est dirigé à propos et avec une précision remarquable durant toute la journée. Bon nombre de faits en témoignent; ainsi une batterie prussienne démontée n'a pu être rétablie malgré les efforts incessants des artilleurs ennemis.
Vers 2 heures, à la suite d'un mouvement exécuté par le 80e, la ferme Saint-Hubert tombe au pouvoir de l'ennemi et leur sert de point d'appui contre nous. Ils veulent s'emparer des tranchées; aussi leurs attaques se multiplient-elles ; leurs bataillons font rage pour gravir la pente et arriver jusqu'à nos soldats. Par huit fois ils sont repoussés. M. le capitaine Faucon est percé de part en part. M. le lieutenant Prat et un bon nombre d'hommes sont blessés. M. le sous-lieutenant Boutteville, un fusil à la main, se fait remarquer par son sang-froid et la justesse de son tir. Tous ces efforts de notre part sont couronnés de succès ; la nuit vient sans que l'ennemi puisse entamer nos lignes.
Les deux compagnies placées en avant rejoignent le bataillon à 8 heures du soir. A 10 heures, une forte attaque de l'ennemi est repoussée dans les mêmes conditions ; à minuit et demi, une nouvelle tentative n'a pas plus d'effets.
Dès le début de l'affaire, le IIe bataillon (commandant de Crousnilhon) et les 5e et 6e compagnies du IIIe bataillon sont placés en colonne serrée par division à gauche de la ferme de Moscou, en arrière d'une batterie d'artillerie qui avait pris position sur la crête. Toute la journée ils restent dans cette position et supportent avec fermeté le feu de l'artillerie ennemie. Les quatre premières compagnies du IIIe bataillon (commandant Nottet) reçoivent à midi l'ordre de se porter à quelques centaines de mètres de la ferme du Point-du-Jour, afin de soutenir plusieurs batteries amenées successivement et qui ne peuvent tenir. Vers 3 heures, le feu devient tellement violent que ces compagnies sont forcées de s'abriter derrière un chemin creux, à gauche de leurs positions, où elles restent jusqu'à 5 heures, moment auquel elles sont appelées à remplacer des troupes postées en avant d'elles. A 9 heures, elles prennent des dispositions pour garder militairement leurs nouvelles positions, ayant à leur droite le 66e et à leur gauche le 76e.
A 3 heures du matin, le régiment quitte le champ de bataille, à l'exception des quatre compagnies du IIIe bataillon qui, vers 4 h. 30, ont un petit engagement avec des forces bien supérieures, engagement qui, du reste, n'a pas de suite. Les Prussiens faisaient mine de se rendre pour attirer dans un piège nos soldats, qui en ont été quittes pour quelques coups de feu qu'ils ont bien rendus.
Dans la journée du 18, le IIIe bataillon a admiré le courage et le calme de son commandant Nottet qui, malgré une forte contusion qu'il venait de recevoir, a porté son bataillon en avant, au plus fort de l'action, pour occuper une position dangereuse.
Cette journée a coûté au régiment : 4 officiers blessés; 6 hommes tués, 93 blessés, 6 disparus. Mais celles de l'ennemi ont été bien plus considérables, et c'est surtout dans ces attaques successives contre nos tranchées-abris qu'il a éprouvé les pertes les plus sensibles. Cela résulte du rapport même du prince Frédéric-Charles, qui mentionne et admire la défense de cette partie du champ de bataille.
Les officiers blessés le 18 août sont : MM. le commandant Nottet, le capitaine Faucon, le capitaine Wanhout, le lieutenant Prat.