L'évasion du général Ducrot et de ses officiers après leur capture à Sedan.


Le général Ducrot
Photo Alophe (Paris)

Le général Ducrot et les officiers de son Etat Major se promenaient sur le quai de la gare lorsque arriva le train qui devait les emmener ; ce train était au grand complet, impossible de s’y caser. Le général reprit sa promenade , en augmenta peu à peu l’étendu sans être remarqué, puis il entra dans le café de la gare, dont une porte de sortie – il avait pu le constater – donnait sur la ville. Il traversa sans affectation ce café alors tout rempli d’officiers des deux armées, disparut par une porte de derrière et s’engagea résolument dans un chemin creux, isolé et bordé de haies. Il s’était concerté avec deux de ses officiers, MM Bossan et de Gaston. Ceux-ci le suivaient séparément à quelques minutes d’intervalle et tous trois se retrouvèrent bientôt dans la maison du Maire, où déjà le matin ils s’étaient arrêtés et où logeait précisément un Etat major Allemand. Sans éveiller l’attention ils montèrent directement au premier étage, ouvrirent audacieusement une chambre qui était vide et qui n’était autre que celle du maire et y pénétrèrent en ayant soin de refermer la porte à double tour. Ils eurent bientôt fait de quitter leurs uniformes, de couper leur barbes, d’endosser des pantalons et des blouses de toile bleue qu’ils avaient empruntés à des paysans et qu’ils avaient roulés dans leur grand manteau porté en sautoir ; puis ils attendirent le maire qui ne pouvait manquer d’apparaître tôt au tard.

On devine la surprise de ce dernier et ses exclamations lorsqu’il trouva sa porte close. Les fugitifs ayant compris à qui ils avaient affaire, ouvrirent et, se faisant reconnaître sous leur travestissement, lui exposèrent la situation. Le maire, songeant aux cinq officiers supérieurs allemands installés dans sa maison même et qui devaient être rejoints dans la soirée par un général mecklembourgeois, insista près du général Ducrot pour que celui-ci ne prolongeât pas son séjour en raison du terrible voisinage ! mais le général et ses deux compagnons se décidèrent à rester : la fuite n’étant pas possible avant la tombée de la nuit. On conçoit quelle émotion poignante dut s’emparer alors des quatre interlocuteurs au cours de cet entretien échangé à vois basse, où chacun pouvait mesurer l’étendue de son devoir et le danger ! Le maire conduisit ses hôtes au bout du jardin, dans une petite cabane de jardiniers, contiguë à un poste occupé par une trentaine de Prussiens, et s’éloigna en recommandant le silence. Il revint peu de temps après, apportant du pain, une bouteille de vin et un poulet froid ; puis il quitta définitivement le général, en fournissant quelques explications sur la direction à suivre pour s’échapper et sur les personnes auxquelles on pourrait s’adresser en route sûrement.

Enfin, le soir à huit heure, le général Ducrot sortit ouvrant la marche. M.Bossan partit à huit heures cinq ; M de Gaston cinq minutes plus tard, chacun d’eux étant guidé par un gamin. Ils avaient pour point de ralliement Millery sur Moselle, à quinze kilomètres plus loin. A Pont à Mousson, ils se croisèrent avec un corps Mecklembourgeois et sur le pont de la ville ils se trouvèrent même bousculés par les troupes ennemies marchant en sens contraire.

Ils firent ainsi quatre heures de route par un clair de lune admirable, mais plein de péril en la circonstance car il les inondait de lumière et les exposait à être cent fois reconnus.

Partout il y avait des Allemands au milieu desquels il fallait se faufiler , qui arrêtaient, interrogeaient et auxquels M de Gaston, qui parlait Allemand, répondait tant bien que mal. Pourtant vers minuit on était parvenu sans encombre à Millery sur Moselle.

Là le voyageurs s’adressèrent à des parents du maire de Pont à Mousson, indiqués par ce dernier. La mine des officiers n’était pas rassurante sous leurs accoutrements en pleine nuit et ils ne furent pas autrement surpris de l’accueil plein de défiance qu’ils reçurent tout d’abord de ceux auxquels ils s’adressaient. Ils surprirent même ce colloque : « Voilà trois gaillards qu’il ne ferait pas bon de rencontrer au coin d’un bois ! » dit quelqu’un,. Une jeune femme répliqua cependant « Pourquoi ne pas écouter ces hommes ? tout est possible en ce moment ! » En entendant ainsi plaider sa cause avec une générosité bien féminine et bien française, le général Ducrot en profita aussitôt pour se faire reconnaître et tira sa lettre de service qu’il avait cachée sans sa casquette. On attela alors une charrette remplie de paille sur laquelle tous trois grimpèrent ; ils reprirent leur route, évitèrent Nancy qui était dangereux et arrivèrent à Sennoncourt le 12 à huit heurs du matin. Là ce fut l curé qui les accueillit et les aida ; il leur tailla d’énormes cannes, leur procura une deuxième voiture de paille au haut de laquelle ils se juchèrent encore, semblables à de braves paysans uniquement préoccupés de vendre leurs produits, mais au fond épuisés de fatigue et dévorés d’angoisse.

A Art, ils franchirent la rivière dans un bac tandis que la voiture passait à gué.

Un peu avant la Neuville, une femme héla M de Gaston, l’appelant le « marchand de veaux », voulant absolument lui en vendre un. M de Gaston ne put se débarrasser de l’importune qu’en lui promettant de revenir le lendemain. Puis ils reprirent leur marche vers le sud ouest, afin de sortir du cercle occupé par l’ennemi. A Flavigny, ils renvoyèrent leur charrette et frettèrent une petite patache qui les conduisit jusqu’à Tantonville. Là encore, ils eurent quelque peine à établir leur identité, mais les hésitations dissipées, ils furent très bien accueillis par M. Tourtel, le propriétaire de la brasserie, qui les fit conduite jusqu’à Châtel, dans un omnibus attelé de deux vigoureux postiers ; en moins de deux heures ils franchirent  un espace de plus de trente kilomètres. A Châtel ils étaient sauvés ! Les Prussiens n’y étaient pas encore.

Le général Ducrot eut la joie de retrouver là son officier d’ordonnance, le capitaine Faverot de Kerbrech et trois autres officiers, le lieutenant colonel Minot, le commandant de Foucault et le capitaine Varaigne, qui eux aussi avaient pu réussir à tromper la vigilance de l’ennemi. Après avoir éprouvé quelques difficultés à de reconnaître sous leurs déguisements, les sept fugitifs prenaient ensemble, quelques instants après, un train qui les amenaient vers onze heures du soir à Vesoul où ils passaient la nuit.

Le 13 à six heurs du matin, ils partaient pour Nevers, par Chagny, d’où le général envoyait une dépêche à Mme Ducrot.


Le commandant Bossan dans son déguisement
Photo Teruel (Nevers)

 

Le bonne nouvelle s’était répandue rapidement dans le ville de nevers. Aussi une foule nombreuse, les autorités en tête, se pressait-elle à la gare et, au moment où le général Ducrot  descendait du train, les cris de « Vive Ducrot ! vive Ducrot ! » étaient-ils poussés de toutes part ; mais lui, élevant la voix, répondit : « Non, non mes amis, à l’heure présente, il n’y a qu’un cri possible : Vive la France ! » Puis après avoir embrassé l’Evêque, Mgr Forcade, remercié et serré les mains du préfet et du maire, il échappa aux ovations en montant en voiture pour venir passer quelques heures dans sa famille à Chazelles. Arrivé à deux heures du matin, il repartait à dix heures pour Paris, où l’appelait une dépêche du général Trochu.

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