La bataille de kanghil (29/9/1855)



La bataille de Kanghil
Atlas topographique et historique de la Guerre d'Orient
Dépôt de la guerre



 

Quelques jours après la prise de Sébastopol, le Maréchal Pelisser décide de faire renforcer la ville d'Eupatoria, tenue par les turcs, par un corps de cavalerie afin de couper les communications russes entre Simféropol et Pérékop. Lors d'une sortie menée pour se donner de l'air, le général d'Allonville, commandant le corps, affronte l'armée russe.


le général
d'Allonville

1/ Rapport du Marechal Pelissier

Un brillant combat de cavalerie a été livré le 29 septembre 1855 à Kanghil (85 lieues au nord est d'Eupatoria) et dans lequel la cavalerie russe du général Korf a été complètement détruite par la notre. Trois colonnes quittèrent Eupatoria le 29 à trois heures du matin pour marcher à l'ennemi. Le première dirigée au sud est alla prendre position à l'extrémité de l'Isthme, vers Saki; elle n'avait devant elle que quelques escadrons qu'elle a facilement contenus, avec l'aide de deux canonnières qui l'ont appuyée de leur feu. La seconde commandée par le Munchir Alimet Pacha et passant par Oraz, Atchim et Teiech, s'est avancée sur Djollechak, en ruinant sur son passage tous les approvisionnements de l'ennemi. La troisième, à la tête de laquelle s'était mis le général d'Allonville, se composait de 12 escadrons de sa division (4e Hussards, 6e et 7e dragons), de la batterie d'artillerie à cheval Armand, avec 200 cavaliers irréguliers et 6 bataillons egyptiens. Elle traversa l'un des bras du lac Sasik et marcha par Chiban, sur Djollchak, rendez vous commun où les deux dernières colonnes furent réunies vers 10h00 du matin. Ces deux dernières colonnes avaient poussé devant elle des escadrons russes qui s'étaient successivement repliés sur leurs reserves. Pendant que le général d'Allonville faisait rafraîchir ses chevaux, il observait les mouvements de l'ennemi qui, avec 18 escadrons, plusieurs sotnas de cosaques et de l'artillerie, cherchait à tourner sa droite en s'avançant entre le lac et lui. Le général d'Allonville que le munchir fit soutenir en arrière par deux régiments de cavalerie turque et les six bataillons egyptiens, se dirigea aussitôt sur la pointe du lac pour envelopper l'ennemi lui même. Le promptitude de ce mouvement permit au 4e hussards, conduit en première ligne par le général Walsin Esterhazy, d'aborder l'ennemi à l'arme blanche, pendant que le général Campéron, avec les 6e et 7e régiments de dragons, en deuxière et troisième ligne, débordait les hulans russes et les forçait à une retraite précipitée durant laquelle ils furent harcelés pendant plus de deux lieues. L'ennemi ne tenant plus sur aucun point et s'enfuyant dans toutes les directions, le général d'Allonville arrête ses escadrons et recueillit avant de se retirer tout ce qui restait sur le champ de bataille. Cette journée nous a valu 6 bouches à feu dont 3 canons et 3 obusiers, 12 caissons et 1 forge de campagne avec leurs attelages, 169 prisonniers dont 1 officier. L'ennemi a laissé sur le terrain une cinquantaine de tués parmi lesquels a été reconnu le colonel du 18e Hulans. Nos pertes sont en comparaison très minimes. Nous avons eu 6 tués et 23 blessés. M Pujade, aide de camp du général Walsin et de Sibert de Cornillon, officier d'ordonnance du même général, sont au nombre de ces derniers.

Carte des opérations de Kanghil
Tirée de l'ouvrage du dépôt de la guerre
"Atlas topographique et historique de la guerre d'Orient"
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 2/ Historique du 4e hussard

Le 29 septembre, à 3 heures du matin, la division tout entière quittait Eupatoria pour faire une reconnaissance. Des Bachi-Bouzoucks servent d'éclaireurs et un corps de 10,000 Turcs l'appuie et sert de soutien. Les flancs de la division étaient couverts à droite par un peloton du 4e hussards, à gauche par deux pelotons fournis aussi par le régiment. Après avoir franchi le défilé de Joseck, la division prit un ordre de combat, chassant devant elle les postes russes. Le contact est pris par les Bachi-Bouzoucks avec les fourrageurs cosaques. Ceux-ci se multipliant, un peloton du régiment, commandé par le lieutenant Garcin, est envoyé en soutien, puis une division du 4e escadron est lancée pour nettoyer le terrain des essaims de cosaques. 

Ceux-ci disparaissent et démasquent un corps important placé sur la droite de la division et masqué par le brouillard. Le général met sa batterie en position, place le 6e dragons à gauche, le 4e hussards à droite et envoie le 7e dragons vers la gauche pour exécuter un mouvement convergent. Vers 10 heures, afin de donner à l'infanterie turque le temps d'arriver et de faire manger hommes et chevaux, le général ordonne une halte. Les Russes profitent de cet arrêt pour se dérober et disparaître, couverts par quelques éclaireurs. La déception était déjà générale, mais le général d'Allonville, passant devant les rangs, s'écria : "Rassurez-vous, braves hussards, vous aurez votre charge aujourd'hui. Qu'on fasse sortir des rangs tout ce qui n'est pas susceptible d'une marche longue et rapide." Son plan était de les acculer à un lac en se portant rapidement par un mouvement de flanc sur leur ligne de retraite et de les forcer à combattre. Rompant en colonnes de pelotons, le 4e hussards en tête, au trot, il marcha pendant trente minutes à cette allure. Peu à peu toute la gauche de la colonne, les dragons, les lanciers turcs, l'artillerie se trouva distancée. Le régiment arriva donc seul en vue de l'ennemi à 2 kilomètres environs du village de Kanghil.

Celui-ci était disposé de la manière suivante : six escadrons formaient la ligne de bataille, le flanc gauche était couvert par deux escadrons adossés au village. En arrière, huit pièces d'artillerie étaient établies de manière à pouvoir arrêter toute attaque sur la gauche et le centre. Trois sotnias de cosaques formaient un épais rideau de tirailleurs devant les escadrons de droite. Le général d'Allonville, qui marchait en tête de sa division, donne aussitôt l'ordre au général Esterhazy de faire former le 4e hussards en bataille au galop et de charger. Le régiment ayant à sa tête le général Esterhazy et le colonel, part comme l'éclair, les deux premiers escadrons sous les ordres du commandant Tilliard, les deux autres commandés par le capitaine d'Anglars.

"Le commandant Tilliard qui commandait nos deux escadrons de droite a tué de sa main deux Russes dont un officier." (lettres de de Crimée, Cpt de Berthois).

Tilliard est ici photographié comme colonel du 3e Hussards vers 1866.

Il sera tué lors d'une autre charge, cette fois à Sedan le 1/9/1870.

        

 

L'artillerie ennemie jusque-là cachée par un pli de terrain se trouve démasquée et fait sur les escadrons de droite une décharge à mitraille. La ligne russe fait feu en restant de pied ferme, puis croise la lance confiante dans le fer de ses canons. Mais ni les balles, ni la mitraille qui, du reste, ne touchèrent presque personne, n'arrêtèrent les hussards qui traversèrent la ligne ennemie. Une mêlée générale et corps à corps s'engage. Deux escadrons arrivent jusqu'aux pièces dont ils s'emparent après avoir sabré les servants. Toutefois les hulans revenus de leur surprise, se rallient et parviennent à reprendre trois de leurs pièces. Les deux escadrons du village qui n'avaient pu encore faire aucun mouvement, se mettent en marche pour tenter de prendre les hussards par derrière.

   

Eugène Garcin, lieutenant au 4e Hussards, est blessé le 29/9/1855 lors de la bataille de Kanghill, d'un coup de lance à la partie antérieure et supérieure du bras droit.

L'historique du régiment signale ainsi que "le lieutenant Garcin a chargé avec une partie de son peloton la batterie russe qui rétrogradait et a été maître un instant de deux pièces et trois caissons et quoiqu'entouré de toutes parts a pu conserver une de ces pièces".

 

"2e escadron. (...) Le maréchal des logis Bourseul s'est élancé un des premiers sur les canons et est resté couvert de blessures sur le champ de bataille". Le registre des officiers du 3e hussards, dans lequel il sera versé plus tard, énumère ainsi les blessures : "Blessé au combat de Kanghil, le 29 Septembre 1855, de cinq coups de sabre à la tête, cinq coups de lance à la région postérieure du tronc, deux coups de lance au bras droit, deux coups de lance à la hanche droite, un coup de lance au genou gauche, un coup de lance au cou, et enfin un coup de lance à la région épigastrique."

Bourseul est ici photographié quelques années plus tard en capitaine de lanciers.

                                        

   

"Notre quatrième Hussards vient enfin d'avoir sa part de gloire et aussi belle que nous pouvions la souhaiter. Il a eu tout l'honneur du combat livré hier et qui est une des plus jolies affaires que la cavalerie française ait eues depuis les guerres de l'Empire. (...)
Le commandant Tilliard qui commandait nos deux escadrons de droite a tué de sa main deux Russes dont un officier. Lenormand, capitaine commandant du 1er escadron en a tué deux, VERLINDE un. (...)" (
lettres de de Crimée, Cpt de Berthois).

Verlinde est ici photographié vers 1860, capitaine adjudant major aux chasseurs à cheval de la Garde.

Lors de la charge le Lieutenant Janin du 4e Hussards est blessé d'un coup de lance à l'omoplate "qui ne laisse aucune cicatrice"


Janin est ici photographié quelques années plus tard, comme capitaine au 5e régiment de dragons. Il porte les deux décorations qu'il a recues en Crimée.

      

   

Louis Lenormand est capitaine du 4e régiment de Hussards. Officier sorti du rang, il a servi toute sa carrière d'officier au régiment.

Il se distingue particulièrement à Kanghil :
A la tête du 1er escadron, se précipite avec un élan terrible sur les canons (Bazancourt "l'expédition de Crimée").
Lenormand, capitaine commandant du 1er escadron a tué deux Russes (lettres de de Crimée, Cpt de Berthois).

Louis Lenormand est mort en 1910, à 96 ans, chef d'escadrons en retraite et officier de la Légion d'Honneur.

Il pose ici à gauche avec son fils, Edouard, né en 1857 à Beziers, qui suivra les traces de son père comme officier de cavalerie, décédé comme capitaine en retraite en 1915, chevalier de la Légion d'Honneur.
La photo de droite l'illustre comme chef d'escadrons du régiment en 1867

   

Le général Esterhazy, pour parer à ce danger, donne l'ordre au commandant Tilliard de rallier ce qu'il pourra de monde et de les charger. Mais à ce moment les 3e et 4e escadrons, après avoir refoulé la droite de la ligne russe et l'avoir poursuivie en partie, se jettent dans la mêlée qui avait lieu vers Kanghil. En outre, l'apparition du 6e dragons dont les casques brillent au loin, décide les hulans à se retirer sans tenter la charge. Le général d'Allonville lance le 6e dragons pour achever la déroute et permettre au 4e hussards de se rallier.

A la chute du jour la division de cavalerie rentra à son bivouac ramenant 170 prisonniers, dont 2 officiers, 250 chevaux, 6 pièces de canon, 12 caissons et une forge. Ce brillant fait d'armes coûta au régiment une vingtaine de tués ou blessés, dont deux officiers." 

Après la charge, le 4e régiment de Hussards reçoit les félicitation du général d'Allonville dans ces termes :
"Merci, braves hussards, vous êtes bien les enfants de la vieille sabretache ; les premiers vous avez eu l'honneur d'aborder l'ennemi en rase campagne, et vous l'avez fait avec un telle vigueur qu'il fichera toujours le camp devant le dolman rouge."

   

Jean Arthur Lenfumé de Linières est sous Lieutenant au 4e Hussards le jour de la bataille.

Après avoir servi à Saumur comme chef d'escadron, instructeur entre 1872 et 1874 (notre photo), il finit sa carrière comme général de division, commandant la 6e divisioon de cavalerie sour la République.


 3/ Lettre du général Walsin à M Sibet Cornillon

Le 29 à midi environ, après une marche de nuit et un mouvement rapide sur la ligne de retraite de l'ennemi, nous l'atteignîmes au petit village de Kanghil. Le 4e régiment de hussards qui compose toute ma brigade marchait à l'aîle droite de la colonne et la brigade de dragons encore loin à la gauche. Je reçus l'ordre de me former et de charger immédiatement. la charge fut enlevée : nos hussards abordèrent l'ennemi avec un entrain admirable. Sibert, mon aide de camp et moi pénétrons les premiers dans les rangs ennemis, mais nous n'avions que 4 escadrons, l'ennemi en avait 8 plus des cosaques irréguliers et une batterie de 6 pièces d'artillerie.

Nous enlevâmes l'artillerie, mais des escadrons des aîles vinrent nous prendre en flanc et sur nos derrières. les dragons étaient encore fort loin de nous . au lieu de nous suivre, comme le général de division en était convenu avec moi, ils étaient encore à 4000 metres en arrière sur la hauteur. Aussi l'ennemi eut il le temps de nous envelopper et il en résulta une mélée ou chacun de nous eut à lutter en combat singulier avec un ou plusieurs Hulans (lanciers). Ce fut dans cette mélée que votre fils, séparé de quelques pas de moi, fut atteint de plusieurs coups de lance et renversé de cheval, pendant que mon aide de camp, également démonté, reçevait plusieurs coups de sabres sur la tête et avait la main droite mutilée. Entouré moi même de tous côtés et isolé de mon monde, je ne dus qu'au plus grand des bonheur de m'en tirer sain et sauf. Cette mélée dura quelques minutes après lesquelles les hussards reprirent définitivement le dessus et la charge fut continuée. les dragons arrivèrent trop tard pour nous en avoir préservé. 


 4/ Historique du 6e régiment de dragons

L'espoir de combattre anime tous les coeurs. En un instant les trois régiments sont à cheval, en bataille derrière un plis de terrain. Le 4e hussard est en tête, il rompt en colonne par pelotons à droite et s'élance au grand trot, s'avançant ainsi sur l'ennemi par une mouvement diagonal ; il est appuyé à distance par le 6e et le 7e dragons, qui exécutent le même mouvement, suivis par la batterie Armand soutenue par le 4e escadron du 6e dragons et le 1er du 7em. Des plis fréquents de terrain dérobent la marche aux eclaireurs ennemis.
Après 1/2 heure d'une course très rapide, la tête de colonne du 4e Hussard arrive en vue de l'ennemi qu'elle trouve ainsi disposé : 6 escadrons formant la ligne principale de bataille, dont le flanc est couvert par deux escadrons adossés au village ; en arrière, 8 pièces de canon sont établies de manière à protéger la ligne contre toute attaque sur la gauche et le centre. Sur l'ordre du général d'Allonville, le général Esterhazy, à la tête du 4e hussard se porte à l'attaque de la ligne ennemie ; après une mélée sanglante dans laquelle le capitaine Pujade et le lieutenant Sibert Cornillon, du 6e dragons, officiers d'ordonnance du général Esterhazy, sont grièvement blessés, les Russes sont bousculés et se replient en désordre ; mais peu après ils parviennent à se rallier devant le 4e hussard, dont les chevaux épuisés refusent tout service, lorsque arrive le 6e dragons, maintenu jusqu'alors en 2e ligne. Aussitôt le colonel Ressayre, sur l'ordre du général d'Allonville, enlève son régiment avec une energique vigueur. Le général de Champéron est en tête ; les escadrons ennemis, qui sur quelques points hésitaient encore à abandonner le terrain, tournent aussitôt bride et disparaissent dans toutes les directions. Pendant plus de deux heures, les dragons s'acharnent à leur poursuite; tout ce qu'ils parviennent à rejoindre jette ses armes et se rend prisonnier. La journée était avancée, la nature du terrain coupé de ravins, la fatigue des chevaux, tout défendait une plus longue poursuite. Le régiment eut un officier, la capitaine Chopelet, et 4 hommes blessés. 

Gustave Jean Jacques Louis Coste de Champéron

Né à Paris le 22 septembre 1807, ancien de l'école de la Flèche et de Saint Cyr, Coste de Champéron a servi en Algérie dans les chasseurs d'Afrique et a été cité à plusieurs reprises à l'ordre de l'armée d'Afrique, entre autres dans celui relatif à l'expédition des Portes-de-Fer en 1839, ce qui lui valut le 23 novembre la croix de chevalier de la Légion d'honneur pour fait de guerre.
Il reste en Algérie dans la province de l'Est jusqu'à sa promotion au grade de chef d'escadron au 1er hussards, qu'il rejoint à Nancy (26 février 1843), mais revient en Algérie comme colonel en janvier 1852 au 4e chasseurs d'Afrique.
Envoyé en Crimée, il est nommé général de brigade le 17 mars 1855 et prend la tête d'une brigade de cavalerie qu'il conduit à Kanghill.

Rentré en France, il fait la campagne d'Italie de 1859 à la tête d'une brigade de cavalerie de la Garde.
Grand officier de la Légion d'honneur en 1863, il fait la guerre de 1870 à la tête de la division de cavalerie de la deuxième armée lors du siège de Paris.
Mis au cadre de réserve en 1871, le général Coste de Champeron est mort en 1874.


 5/ Mismer "Souvenirs d'un dragons en Crimée"

Nous avions quitté le bivouac au milieu de la nuit. Après avoir marché jusqu'au matin, on fit halte, en vue de la cavalerie ennemie, pour ressangler les chevaux; puis on continua d'avancer. Au bout d'une heure on s'arrêta de nouveau. A défaut d'eau, les chevaux durent manger à sec leur ration d'orge. Nous étions là depuis quelque temps, ayant toujours la ligne russe en face de nous, quand nous vîmes le 4e hussards remonter à cheval et partir à grand trot dans une direction perpendiculaire à notre flanc droit, vers le village de Kanghil. Aussitôt nous reçûmes l'ordre de suivre le mouvement. Mon escadron fut chargé d'escorter la batterie divisionnaire. Nous voila trottant derrière les pièces sans savoir dans quel but. Tout à coup les hussards qui étaient à mille metres devant nous disparurent derrière un pli de terrain, et nous entendîmes deux coups de canon. Alors, nous prîmes le galop. Nos trois premiers escadrons disparurent à leur tour. Bientôt nous arrivâmes en vue d'un affaissement subit de la steppe, marquant une différence de niveau de la hauteur de trois étages. La scène se découvrit et nous vîmes une brigade de lanciers russes s'en allant au galop poursuivie par nos dragons. Au premier plan, les hussards qui avaient chargé en tête, reformaient leurs rangs. L'emplacement o'u les russes surpris avaient reçu le choc de pied ferme était marqué par une cinquantaine d'hommes tués ou blessés. Les dolmans rouges accusaient les pertes des hussards. Plusieurs blessés gémissaient d'une façon lamentable. Un hussard se trainait à quatre pattes le crâne ouvert, reclamant de l'eau. L'officier d'état major, aide de camp du général Walsin, se tenait accroupi, couvert de sang. Non loin de là, l'officier d'ordonnance du même général, M de Sibert Cornillon, appartenant à notre régiment, gisait criblé de coups de lance. Nous passâmes au galop, hommes et chevaux haletants. Voici un canon russe ramené par des dragons fous de joie. En voila d'autres et des caissons, et une forge, treize voitures en tout : une batterie complète. des prisonniers arrivent sous escorte, un par un, puis par groupes. A droite, un Bachi-Bozouk, à pied, les rènes de son cheval passées au bras, tente d'arracher des bottes à un russe qui crie au secours de toutes ses forces. "Faites lacher prise à cette canaille" me dit mon capitaine. [...] Lorsque je repris mon rang l'artillerie était arrétée. les chevaux couverts d'écume avaient la tête entre les jambes et leurs poumons résonnaient comme des soufflets de forge. Au loin dans la steppe, des dragons épars tiraient des coups de fusil dans le tas des Russes qui avaient fait halte. A l'autre extrémité de l'horizon le 7e dragons, reconnaissable au reflet de ses casques, arrivait en soulevant un nuage de poussière. A la vue de ces renforts, les Russes se retirèrent au pas. Notre halte se prolongea afin de donner aux chevaux d'artillerie le temps de reprendre haleine et à notre régiment celui de se rallier. Nous apprîmes alors que les Russes, s'étant rendu compte du petit nombre de cavaliers à leur poursuite, avaient fait volte face pour prendre l'offensive, en poussant des Hurras, mais que leurs chevaux refusèrent le service. Sans cette circonstance, ils eussent fait prisonnier tout l'état major de notre régiment, cloué au sol pour la même raison. Nous apprîmes également que les Russes, surpris derrière un pli de terrain, n'eurent pas le temps de tirer plus de deux coups de canon sur six, que néanmoins ils tinrent tête aux hussards et que le général Walsin Esterhazy traversa leurs rangs, la canne à la main, semant sur le sol son état major et son escorte. A l'approche des dragons, l'ennemi avait tourné le dos en croisant la lance en arrière. On racontait aussi un trait du colonel Ressayre : en chargeant à sa place de bataille, il avait menacé de passer son sabre à travers le corps de son trompette d'ordonnance qui voulait le dépasser.

   

Le colonel Ressayre (en uniforme de général)

L'artillerie russe, fuyant en colonne sur la route, avait été débordée par un maréchal des logis de notre régiment, nommé Veyret, un colosse supérieurement monté, qui conquit la pièce de tête en abbatant les conducteurs avec la poignée de son sabre, arrêtant du même coup les autres canons venant derrière à la queue leu leu.  

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