La Garde à Solférino
24 juin 1859
Rapport du Maréchal Saint Jean d'Angely, commadant le corps de la Garde.
Cavriana, le 25 juin 1859.
Sire,
Le 24 juin, la Garde Impériale était campée, les deux divisions d'infanterie à Montechiaro, les huit batteries d'artillerie ct la division de cavalerie à Castelnedolo. Votre Majesté lui donna l'ordre de partir de ces deux positions pour se rendre à Castiglione. L'infanterie partit de Montechiaro à cinq heures du matin, l'artillerie partit à la même heure de Castelnedolo et rejoignit la gauche des deux divisions d'infanterie à Castiglione, vers sept heures moins un quart. La division de cavalerie ne devait partir qu'à neuf heures du matin de Castelnedolo et marcher librement afin de ménager ses chevaux.
Vers six heures du matin, une canonnade bien nourrie s'engagea avec l'ennemi, qui avait pris position au delà de Castiglione et s'était décidé à livrer bataille. Votre Majesté ordonna alors à la garde d'accélérer son mouvement. L'ordre fut expédié de suite à la cavalerie de partir avant l'heure qui lui avait été désignée : à huit heures, elle put monter à cheval, et, vers neuf heures et demie, elle arriva sur le lieu du combat, où elle fut mise à la disposition de M. le maréchal de Mac-Mahon, d'après les ordres de Votre Majesté. Les deux divisions d'infanterie de la garde avaient débouché à Castiglione par la route de Guidizzolo; mais Votre Majesté, ayant jugé que le point décisif de la bataille était l'enlèvement de la position de Solferino, vivement défendue par l'ennemi, donna l'ordre à sa Garde de se porter à gauche, afin de se trouver en situation d'appuyer l'attaque du maréchal Baraguey-d'Hilliers contre Solferino.
L'Empereur engage la garde à Solférino - Yvon -
RMN
La division de voltigeurs, commandée par le général Camou, fut placée en ligne déployée derrière le 1er corps, et, à 500 mètres en arrière, la division Mellinet fut formée en colonne double par division à distance de déploiement. La division Forey ayant éprouvé des pertes sensibles dans l'attaque de la position del Monte, la brigade Manèque, composée des chasseurs à pied de la garde, des 1er et 2e voltigeurs, fut portée à son secours et enleva ces positions aux cris de Vive l'empereur ! Au même moment, deux bataillons du 2e voltigeurs, lancés sur la tour et le couvent de Solferino, les enlevèrent avec un remarquable élan.
Jacques CAMOU, né le 1/5/1792 à Sarrance (Basses Pyrenées) Entré au service à 16 ans, il est sergent au 1er bataillon des chasseurs des montagnes le 6/9/1808. Il sert à l'armée d'Espagne en 1811, en Italie en 1813 et dans l'armée des Alpes en 1815. Fait prisonnier de guerre en 1813, il a reçu trois blessures dans la campagne d'Illyrie. sa carrière est momentanément interrompue après 1815, mais il reprend du service en 1817 comme Lieutenant dans la légion des basses Alpes. Il participe à la guerre d'Espagne en 1823 et à l'expédition d'Alger en 1830. C'est en Algérie qu'il va s'illustrer entre 1840 et 1854, notamment à Zaatcha le 26/11/1849 après un long siège. Nommé général de brigade en 1848, il est promu Général de division en 1852, commandant la division d'Alger. Il quitte alors l'Algérie pour prendre le commandement d'une division de l'armée d'Orient. Au cours du siège de Sébastopol, il est mis à la tête de la 2e division d'infanterie de la garde Impériale, qu'il commande encore en 1859 pour la guerre d'Italie. Grand Cordon de la Légion d'Honneur, il est nommé sénateur en 1863. Il est mort le 8/2/1868. |
Ces bataillons ont ensuite occupé les crêtes de la position del Monte et y ont été soutenus par l'artillerie à cheval de la garde, qui vint se mettre en batterie sur la grande route de Cavriana. Bientôt l'ennemi chercha à reprendre cette importante position, et le petit nombre de troupes qui étaient sur ce point n'aurait pas permis de la conserver, si Votre Majesté, en se rendant parfaitement compte de l'état des choses, n'avait envoyé immédiatement l'ordre à la division de grenadiers, commandée par le général Mellinet, de soutenir les batteries de la garde et la brigade Manèque. Cet ordre, promptement exécuté par le général Mellinet, permit à la brigade Manèque et à l'artillerie de la garde, non-seulement de conserver la position menacée, mais encore de gagner du terrain en avant, en s'emparant successivement des positions de l'ennemi.
La brigade Manèque arriva ainsi à quelque distance de Cavriana, position
importante entourée de vieilles fortifications, où l'ennemi pouvait renouveler
dans la ville et dans le château la longue résistance qu'il avait opposée à
Solferino.
Votre Majesté envoya l'ordre à l'artillerie de la garde de battre
cette position, et à la brigade Manèque de l'enlever. Cet ordre fut exécuté avec
vigueur et intelligence sous les yeux de Votre
Majesté.
Le village de Cavriana venait d'être enlevé vers cinq heures du soir, lorsqu'un violent orage éclata et suspendit un instant les opérations. Mais à peine avait-il cessé, que les voltigeurs de la garde reprirent l'œuvre commencée et chassèrent l'ennemi des hauteurs qui dominent le village où le quartier général de Votre Majesté devait être établi, et terminèrent ainsi la journée.
La brigade Manèque a enlevé un drapeau, des prisonniers et treize pièces de canon aux Autrichiens. Pendant toute cette affaire, l'artillerie de lagarde s'est fait remarquer par la précision de son tir et le choix successif de ses positions. Partout où elle a eu à contre-battre des batteries ennemies, elle a fait taire leur feu en peu de temps. La cavalerie, commandée par le général Morris, est venue, dès son arrivée sur le champ de bataille, et d'après les ordres de Votre Majesté, se placer sous le commandement du maréchal de Mac-Mahon, qui opérait dans un pays de plaine où, dans certains cas, elle pouvait trouver l'occasion de faire un bon service. En attendant l'arrivée du corps du général Niel, qui devait se lier par sa gauche au maréchal de Mac-Mahon, elle fut employée à couvrir la droite du 2 corps, et, à cet effet, le général Morris disposa ses trois brigades par échelons et les fit couvrir par une ligne de tirailleurs. Le général Morris attendait avec impatience l'occasion de faire agir sa cavalerie : elle se présenta vers trois heures et demie. Une colonne de cavalerie autrichienne ayant paru, il la fit charger en flanc par les chasseurs à cheval. Les Autrichiens, refoulés, se retirèrent à droite vers leurs batteries, dont le feu arrêta notre poursuite.
Je viens d'exposer la part que la garde a prise à la bataille de Solferino. Là, comme à Magenta, elle a agi sous les yeux et l'impulsion directe de Votre Majesté, qui a pu juger par elle-même du courage et du dévouement absolu qu'elle mettait à exécuter ses ordres. Je ferai connaître plus tard à Votre Majesté les noms des officiers qui se sont le plus particulièrement distingués, et je les proposerai pour des récompenses, etc. Je suis avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté, le très humble et très-obéissant serviteur,
Lemaréchal commandant en chef la garde impériale, REGNAUD DE SAINT-JEAN D'ANGÉLY.
Vers 6h1/2 le 1er corps d’armée s’était engagé à fond contre l’ennemi qui résistait énergiquement en avant du village de Solferino. Les troupes étaient arrivées jusqu’au pied de la colline abrupte au sommet de laquelle est bâti le village de Solferino que défendait des forces considérables retranchées dans un vieux château et dans un cimetière entourés l’un et l’autre de murs épais et crénelés.. Exténuées de fatigue et de chaleur et exposées à une vive fusillade, ces troupes ne gagnaient du terrain qu’avec beaucoup de difficultés. A ce moment l’Empereur donne l’ordre à la division Forey de s’avancer, une brigade du côté de la plaine, l’autre sur la hauteur, contre le village de Solferino, et la faire soutenir par la division Camou des voltigeurs de la Garde.
Le division Camou, jalouse des lauriers cueillis par les grenadiers à Magenta, s’avance pleine d’ardeur pour prendre sa place au combat. Ses colonnes sont à peine formées que le général Camou, respectueusement appelé « le père Camou », s’avance au devant d’eux et leur cris d’une voix forte et puissante : « Cré nom de Dieu, mes enfants, est-ce que les grenadiers vous feront le poil parce qu’ils sont plus grand ? En avant ! Et vive l’Empereur ! » « Vive l’Empereur ! » répondent les voltigeurs.
La brigade Picard (3e et 4e voltigeurs) se dirige sur les hauteurs de gauche et la brigade Manèque (chasseurs à pied, 1e et 2e voltigeurs) se porte derrière une brigade des grenadiers (général d’Alton) pour appuyer son attaque et repousser les colonnes autrichiennes qu’on voit descendre de Casa Del Monte.
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Déjà à 500 mètres de l’ennemi, les obus atteignent les têtes des colonnes et tuent, au 2e voltigeurs, un sapeur, un sergent et le lieutenant Chasseriaux. Le médecin major Gaullet se précipite au secours de ce dernier, mais le malheureux lieutenant, les membres brisés par la mitraille, a déjà cessé de vivre.
Les voltigeurs se massent derrière le mont Fenile, pour éviter les projectiles de l’ennemi , pendant qu’une batterie de la Garde, hissée à bras sur les hauteurs par les voltigeurs, se met à battre violement de ses obus les masses autrichiennes qui couronnent le mont de Cyprès. Au 10e coup de canon, le colonel chef d’état major crie à haute vois à la brigade Manèque : « En avant les voltigeurs et vive l’empereur ! « Le général Manèque forme sa brigade en deux colonnes, précédées chacune d’une compagnie de chasseurs à pied. Arrivé à la croisée de la route de Pozzo Catena, le général fait mettre les sacs à terre et envoie le bataillon de chasseurs du commandant Clinchant et deux bataillons de voltigeurs du 2e régiment pour appuyer le général d’Alton. Lui-même, avec le 1er régiment et le dernier bataillon du 2e, se précipite à la rencontre de la colonne autrichienne qui descend de Casa del Monte, enlève au pas de course le monte Pellegrino et Borgo Sevilla et rejette les Autrichiens au-delà de Casa del Monte, mais il se trouve bientôt arrêté par une résistance opiniâtre que lui oppose l’ennemi au mont Sarco.
Le général Forey dirige les voltigeurs qu’on lui a envoyé en face de la tour crénelée et à demi ruinée qui domine la contrée, il envoie les chasseurs du commandant Clinchant et lui donne l’ordre de monter à l’assaut des hauteurs de Solferino. Au 2e voltigeurs le sous lieutenant Bertin a les deux bras traversés par la même balle, l’adjudant Paulard a sa capote trouée par les projectiles, le capitaine adjudant major Chanteclair du 1er voltigeur est blessé d’une balle.
On approche cependant du village. Le lieutenant d’Hincourt s’élance avec le lieutenant Boudeville contre des pièces de canon que les Autrichiens s’apprêtent à mettre en batterie à quelque pas d’eux. Un coup de mitraille renverse et l’étourdit un instant, mis le brave lieutenant se relève bientôt et continue à combattre, une deuxième blessure à la cuisse le jette de nouveau par terre et il ne doit qu’au dévouement des voltigeurs Buchet, Jacob, Neveu et Avezon de ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Le capitaine Dupont est tué, le capitaine d’Herisson est blessé à la jambe et le sous lieutenant Fournier reçoit une balle dans le ventre.
Les tambours du 2e voltigeurs, auxquels le colonel de Villeneuve a donné l’ordre de ne pas battre la charge et de rester au pied des hauteurs parce que le terrain est trop accidenté, ne peuvent cependant pas supporter l’inaction dans laquelle on les laisse. « Dites donc, vous autres, leur dit tout à coup leur tambour major, est-ce que nous allons rester là comme des imbéciles ? Ce ne sont pas les fusils et les cartouchières qui manquent ; ramassons-les et rejoignons les camarades ! « Quelques instant après le nouveau peloton de combattants gravissait les pentes en courant et se jetai au plus fort de la mêlée.
Le capitaine Boissonnet des chasseurs à pied dont la compagnie est en tirailleurs, tombe mortellement frappé ; non loin de là, le sous lieutenant Zinzius et le lieutenant Poirson sont grièvement blessés ; la compagnie Chauvet voit tomber son capitaine et conduite par le lieutenant Monéglia, se jette sur la gauche, dans un chemin étroit qui contourne le village. Tous à coup, aux premières maisons, les chasseurs se trouvent en face de trois pièces de canon tirant à mitraille. Le lieutenant Monéglia enlève ses hommes et les entraîne sur cette barrière de feu. Le plus intrépide, la caporal Ferrière, est foudroyé par la mitraille à deux pas de la bouche du canon ; le sergent Hébert et le chasseur Giraud, le suivent de près et sont blessés en arrivant sur la batterie. Les trois canons sont enlevés, mais les Autrichiens font un retour offensif et le lieutenant Monéglia est obligé de se retirer devant des forces supérieures et de se réfugier dans une maison du village où il se barricade.
D’un autre côté, le capitaine Verdeil, chargeant l’ennemi, est entré avec lui dans Solferino où 60 Autrichiens restés dans les maisons sont faits prisonniers par les chasseurs de la Garde.
Enfin la Garde a couronné les hauteurs, les Autrichiens lâchent pied. Les compagnies Laport et Vilmette des chasseurs traversent les rues du village au pas de course. Le sous lieutenant Renaud est blessé ; Jambon, lieutenant, atteint d’une balle à l’épaule est forcé e s’arrêter, mais continue encore à exciter ses hommes de la voix et du geste. Enfin le capitaine Copri s’est emparé d’une pièce tandis que deux autres tombent entre les mains des chasseurs de la 6e compagnie (capitaine Suire).
Cependant le lieutenant Puech du 2e voltigeurs arrive avec quelques hommes au secours du lieutenant Moneglia, toujours arrête en face des trois canons sur lesquels les tirailleurs font pleuvoir une grêle de balles.. On se jette résolument en avant et les pièces sont reprises une seconde fois. Abandonnant sa conquête au lieutenant Puech, le lieutenant Monéglia a continué sa marche hardie ; il atteint bientôt un chemin creux sur la hauteur. Tous a coup un roulement confus se fait entendre dans le village et fait croire à une charge de cavalerie ; une batterie d’artillerie qui venait prendre part à la défense de la tour de Solferino, se lançant à fond de train, cherchait à se faire jour pour éviter d’être prise. Un capitaine d’artillerie qui précède la colonne, vient tomber sous les baïonnettes des chasseurs. Le lieutenant Monéglia se campe résolument sur la route avec sa section, il attend tranquillement cette batterie et commande « Feu ! » presque à bout portant. Hommes et chevaux tombent pèle mêle et la batterie est arrêtée sur place. Sommé de se rendre, le colonel autrichien qui commandant cette troupe, remet son épée au lieutenant Monéglia et laisse en notre pouvoir 4 pièces de canon et un caisson attelé.
Un autre détachement autrichien égaré sans doute, revient dans le village où il est cerné et pris. Des corps ennemis entiers se retirent en désordre, abandonnant armes et bagages. C’est à ce moment qu’apercevant un porte drapeau qui s’enfuit, le chasseur Montellier se précipite sur lui, le tue et s’empare du drapeau. Le vaillant bataillon éprouvait des pertes cruelles dans ce combat : 3 officiers tués, 10 blessés, 148 chasseurs tués ou blessés.
Quatre héros de Solférino au bataillon des chasseurs de la Garde
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Depuis 1h1/2, le général Manèque luttait avec énergie contre les Autrichiens embusqués au mont Sarco. Les munitions vont manquer, les voltigeurs sont épuisés, ils vont succomber si des renforts n’arrivent pas bientôt, car les autrichiens sont à 40 mètres et il faut jouer de la baïonnette à chaque instant pour les empêcher d’avancer. Les sous lieutenant Cloche du 1er voltigeur est tué, le porte aigle Serradell, blessé à la tête, roule à terre avec l’aigle du régiment qui est aussitôt relevé par le lieutenant Trouillet. Là sont successivement blessés le commandant Dauphin, les capitaines Lapouraille et Rémias qui moururent des suites de leurs blessures.
Le général Manèque envoie son aide de camp, le capitaine Grosjean demander du secours au général Mellinet des grenadiers. Mais le général Manèque veut conserver à ses voltigeurs seuls l’honneur de garder ces positons si chèrement acquises. Il demande seulement au général Mellinet de faire remplacer les munitions de ses voltigeurs par celles des grenadiers. A peine réapprovisionnés, les voltigeurs dont le courage est excité par la présence des grenadiers, s’élancent impétueusement sur les Autrichiens qu’ils chassent de Casa del Monte.
Depuis le commencement de la bataille, le seul 1er voltigeur avait eu 2 officiers tués et 11 blessés, 35 hommes tués et 212 blessés, 17 disparus.
Lors de cette attaque, la brigade Manèque avait à elle seule pris à l’ennemi 13 canons et 1 drapeau.
Quelques blessés au 2e Voltigeurs de la Garde
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Les canons préparent alors l’attaque de Cavriana. De mamelon en mamelon, les soldats de la garde sont arrivés en face de Cavriana qui est résolument enlevé à gauche par le 3e voltigeurs, pendant que les tirailleurs algériens s’en emparent à droite. Les compagnies Liotet, Connet, Coulon et Roche du bataillon Dubnard du 3e régiment de voltigeurs sont ensuite portés en avant pour couvrir les hauteurs environnantes. Elles perdetn une trentaine d'hommes sous le feu des Tyroliens qui protèget le recul des Autrichiens. Les capitaines Liotet, Coulon et le lieutenant Tristant sont blessés, le capitaine Connet très grièvement atteint. Le 1er bataillon du 3e Voltigeurs perd à lui seul 70 hommes tués ou blessés ; son Lieutenant Colonel M.Vallet, succomba à la suite de ses blessures.
Au 3e voltigeurs
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Le centre de l’armée autrichienne était enfoncé, la bataille de Solferino était gagnée.
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