La campagne de Madagascar


Marche sur Tananarive - départ de la colonne légère
Louis Tinayre - Chateau de Versailles


La préparation de l'expédition

En 1894, le gouvernement français décide de l'expédition de Madagascar. Cette campagne déclanche un fort enthousiasme populaire et de nombreux officiers sollicitent l'honneur d'y participer. Après quelques hésitations, le gouvernement décide de confier le commandement de l'expédition à l'armée de terre et désigne le général Duchesne. La préparation des opérations repose sur une premier travail de reconnaissance effectué par le commandant de Beylié qui recommande l'itinéraire qui sera emprunté par l'armée : débarquement à Majunga et progression vers Tananrive, soit 600 km à parcourir dans un pays difficile, recouvert tantôt de marécages, tantôt de monts escarpés et dépourvu pendant les 200 premiers kilometres de toute autre voie de communication qu'un fleuvre capricieux, la Betsiboka.

Le corps expéditionnaire est composé d'un panachage de troupes représentant toutes les armes : une régiment d'infanterie de ligne et un bataillon de chasseurs, constitués de troupes choisies dans tous les régiments et bataillons de l'armée métropolitaine ; un régiment d'Algérie formé de deux bataillons de Turcos et d'un de la légion étrangère ; Un régiment d'infanterie de marine ; et un régiment colonial (formés de tirailleurs malgaches, Haoussas et venus de la Réunion). S'ajoutent un escadron de chasseurs d'Afrique, trois groupes d'artillerie, quatre compagnies du génie et des services du train, de l'intendance et de santé, soit un total de 15.000.

   

Le général Duchesne, commandant le corps expditionnaire.

Saint Cyrien en 1855, blessé à Solférino, Duchêne a une belle expérience coloniale, dans le sud oranais et surtout en extreme orient où, à la tête de deux bataillons de la légion étrangère, il a combattu dans le delta du Tonkin, puis à Formose.
L'armée de terre ayant remporté la conduite de l'expédition contre la marine, il est finalement désigné pour commander le corps expéditionnairede Madagascar.

"Ce choix fut excellent. Il fut un chef dans toute l'acceptation du terme parceque, de la première à la dernière heure, il eut l'oeil fixé sur le but à atteindre et qu'il y marcha avec la tenacité qui vient à bout des plus grands obstacles. Dur il l'a été, il fallait l'être ; peut être a-t-il parfois dépassé la mesure ou plutôt il s'en est donné l'apparence par la brutalité de quelques unes de ses paroles. mais j'ai acquis depuis lors l'intime conviction que la rudesse des mots était pour le général le rempart derrière lequel s'abritait sa timidité. Ne pouvant être ferme avec douceur il se faisait brutal, mais il était foncièrement bon. personne d'ailleurs n'a contesté sa justice" (Souvenirs - Général Legrand Girarde)

Lieutenant Colonel de Beylié

Officier de l'infanterie de Marine, de Beylié a une belle carrière derrière lui : blessé en 1870, il s'est aussi illustré au Tonkin.
En 1894, il est envoyé en mission sercrete à Madagascar pour effectuer une levée topographique de la route liant Majunga à Tananarive, route que suivra le corps expéditionnaire. Il effectue cette mission déguisé en naturaliste. Dans son rapport préparatoire à l'expédition, il préconise l'utilisation des voitures Lefebvre comme moyen de transport, choix qui s'avérera desastreux, car ces vehicules se révèleront totalement inadaptés au terrain difficile de l'expédition. De Beylié particpe à la campagne comme chef des services de renseignements du corps expéditionnaire.
"Le rapport établipar cet officier supérieur a été imprimé et distribué à tous les officiers du corps expéditionnaire comme une sorte de guide du pays. Il contient des erreurs monstrueuses. Il dépeint le terrain comme suceptible de donner passage à des voitures de type Lefebvre en maint endroit sans aucun travail, en d'autres à l'aide d'un léger déblai ; ailleurs on y lit que tel cours d'eau sera aisément franchi par une passerelle dont les éléments existent sur place. La réalité fut décevante : le léger déblai exigea des centaines de journées de travail et le ponceau se transforma en véritable ouvrage d'art." (Souvenirs - Général Legrand Girarde)

   

Le débarquement à Majunga

En préparatif du débarquement du corps expéditionnaire, la Marine, sous les ordres du capiatine de vaisseau Bienaimé a la charge de prendre possessions de certains points de débarquement. Le 12 décembre 1894, Tamatave est pris, puis le 16, c'est Majunga qui est occupée.

Ce point d'appui conquis permet le débarquement de l'avant garde du corps expéditionnaire le 1e mars 1895, sous le commandement du général Metzinger qui prend Marovoay fin avril, bousculant les positions Hova. Il est rejoint par le général Duchesne et le reste du corps expéditionnaire à la fin du mois de mai.

Commandant Bienaimé
Photo Pirou (Paris)
Général Metzinger
Photo Petit (Paris)

Renforcé du 40e bataillon de chasseurs et du régiment d'Algérie, le général Metzinger poursuit sa progression le long du fleuve jusqu'à son confluent avec l'Ikopa. Le bataillon s'empare de Mevatanana et met en fuite 5.000 Hovas, puis de la position de Suberbieville.

Le difficile progression du corps d'armée vers le centre de l'île

Encombré de voitures Lefebvre impraticables dans ces régions très accidentées, le corps expéditionnaire ne peut pas progresser de plus de 7 à 8 km par jour. Le service sanitaire défectueux et la lenteur de la progression font que les troupes doivent séjourner longtemps dans les régions fiévreuses et perdent un grand nombre d'hommes, notamment au 200e RI.

   

Marie Edouard Constant Gillon

Ancien saint Cyrien, décoré et blessé en 1870, le colonel Gillon a l'honneur d'être désigné pour commander le 200e régiment d'infanterie, régiment constitué pour la campagne par des compagnies prises dans divers régiments metropolitains. Avant son embarquement, il se fait photographier dans la tenue de campagne, portant le casque colonial.

Ayant anticipé les difficultés sanitaires de l'expédition, Gillon emet quelques conseil de comportement à ses troupes avant l'embarquement : "A Madagascar, vous aurez à vous défendre contre trois ennemis bien plus redoutables que les Hovas : le soleil, les fièvres et la dysenterie. Contre ces trois ennemis vous avez le casque, l'eau bouillie et la ceinture de flanelle. Vous ne devez jamais sortir sans casque, car même sous un soleil nuageux, le soleil est mortel. Dans les haltes, ne vous couchez jamais sur la terre, qui est plus chaude que l'air et vous empoisonnerait par ses miasmes. Bornez vous pour vous reposer à vous asseoir sur vos sacs. Vous ne sortirez jamais à jeun et ne boirez que de l'eau bouillie avec du thé ou du café. Pour éviter les conséquences du refroidissement du ventre, et conséquemment la dysenterie, vous ne quitterez point votre ceinture de flanelle. Voilà ce qu'il faut faire. Ce qu'il ne faut pas faire, sous aucun pretexte, c'est boire de l'alcool et manger des fruits qui, même s'ils ressemblent aux notres, renferment de violents poisons. En suivant ces recommandations vous reviendrez en France pour la récompense de vos victoires"

Sages, mais insuffisants conseils qui n'éviteront pas le désastre sanitaire dont sera victime Gillon lui même, qui décède de maladie le 13/6/1895.

Commandant Pasquier de Franclieu, commande un bataillon du 200e RI

Saint Cyrien, s'étant distingué en 1871 contre la Commune et ayant servi en Algerie, il est decrit de la manière suivante, par une plume nationaliste, dans l'Album Annuaire de 1907 :
"Petit, trapu, musclé, la barbe toute blanche comme les cheveux, les yeux petits, brillants, malicieux, le visage couperosé, la tête comme taillée à coups de serpe, le colonel de Franclieu, fort de convictions rigides, racinées tout au fond de ses atavismes et de ses instincts, possède au plus haut degré cette trempe à l'antique, si rare dans notre société aveulie, destructrice de toute personnalité. C'est un superbe primitif égaré dans notre siècle. Il n'a jamais possédé de tenue bourgeoise. Marcheur infatigable, pittoresque d'aspect et de language, se joviale humeur, son entrain communicatif enlèvent ses troupiers et dérident tous les officiers qui l'approchent."

"Ce matin, l'unique bataillon du 200e de ligne encore en état de suivre est passé près de nous. Ce bataillon est sous les ordres d'un énergique officier M de Franclieu que j'ai connu autrefois capitaine au 1er zouaves. Les deux autres bataillons qui comptaient chacun plus de 800 hommes au départ, sont réduits à 50 ou 60. Le bataillon Franclieu lui-même n'en compte plus que 300 qui n'iront pas tous jusqu'à Tananarive. Ce malheureux 200e, composé de jeunes soldats, a donc été presque anéanti. C'est épouvantable ! Il n'a cependant pas encore combattu." (Lettres de campagne - 22/8/1895 - Lentonnet)

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Défense du poste de Tsarasaotra et prise du mont Beritza

Fin juin, le corps expéditionnaire occupe le plateau de Mevatane-Suberbieville. Duchesne décide de l'établissement d'un poste avancé à Tsarasaotra à 20 kilometres de Suberbieville, compsé d'une compagnie de tirailleurs algériens, d'une section d'artillerie et d'un peloton de chasseurs d'Afrique.
Le poste isolé est attaqué le 29 juin au matin par plus d'un millier de Malgaches hovas. Tenu à distance par des feux de salves l'ennemi est finalement délogé par une contre attaque des turcos qui mettent l'ennemi en déroute. Ils se réfugient sur le mont Beritza.

   

Jean Louis Lentonnet, commandant un bataillon du régiment d'Algérie

Ancien enfant de troupe, engagé à 17 ans en 1858 Lentonnet a servi comme sous officier en Algérie, puis s'est illustré en 1870 comme porte drapeau du 13e de ligne en 1870 où il a été blessé à trois reprises, promu et décoré.

Il commande le poste avancé de Tsarasaotra et a raconté sa journée dans ses "Carnets de campagne" :
A 5h 3/4, l'ennemi ouvrait le feu au sud ; des feux de salves furent exécutés de notre côté au commandement et lentement, par escouade. L'ennemi manoeuvre et cherche à tourner la position. A 6h1/4, il attaque vigoureusement la face est. Nous lui répondons par des feux de salve. Le petit poste n°2 se replie sur Tsarasaotra.
La section d'artillerie se met en batterie face à l'est. Pour la première fois depuis le début de la campagne, les Hovas tiennent bon et sont assez bien commandés; ils veulent évidemment nous envelopper. Mes turcos sont embusqués, aussi abrités que possible. les tireurs Hovas visent les officiers. A 7h le lieutenant Augey-Dufresse est debout derrière sa section ; il va commander un feu de salve, lorsqu'une balle le jette à terre. ce jeune et brave officier vers lequel se précipitent aussitôt deux hommes, est atteint au flanc. Blessure mortelle. On le transporte à l'ambulance. Le capitaine Mahéas remplace de sa propre initiative M Augey-Dufresse et rassure les soldats de sa section un instant très impressionnés.
Les situation est assez critique. J'ai fait avertir en arrière de l'attaque des Hovas, mais je n'ai à compter que sur moi-même et l'ennemi, grace à une énorme supériorité numérique, continue sans être inquiété, son mouvement tournant. Il est temps d'aviser.
J'ordonne à 30 tirailleurs, sous les ordres d'un sergent, d'executer une charge à la baïonnette. L'artillerie prépare l'attaque en précipitant son tir. Le capitaine Aubé de l'état major, officier d'infanterie de marine, se joint volontairement au petit détachement que je lance en avant et le dirige avec beucoup d'intelligence et de courage.
En même temps, de la face sur, la 2e section de la 6e compagnie, se porte contre l'ennemi, elle aussi à l'arme blanche. ces deux charges combinées et bien menées jettent immédiatement l'hésitation dans les rangs de l'ennemi. Non seulement le mouvement offensif des Hovas est arreté, mais ceux-ci reculent et bientôt s'enfuient vers l'est et vers le sud, poursuivis par nos balles et nos obus.


A la suite de l'affaire de Tsarasoatra, il est cité pour "l'intelligente energie avec laquelle il a défendu le poste confié à son commandement" et promu Lieutenant Colonel .

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Capitaine Mahéas
1er régiment de tirailleurs algériens
Il sera tué à Rochincourt, le 9/5/1915 comme colonel du 88e RI

Le général Metzinger vient renforcer la position avec le 40e bataillon de chasseurs. Celui ci attaque l'ennemi sur le mont Beritza le 30 juin le camp Hova est pris pour des pertes insignifiants chez les Français (8 blessés)

Les sous officiers Martinaggi et Villepontaux du 1er régiment de tirailleurs

La carrière de ces deux vieux briscards du régiment de tirailleurs algériens illustre l'importance du corps des sous officiers, en contact avec la troupe, qui forment l'ossuature de l'armée française.
Héros souvent anonymes, rarement cités aux ordres du jour, leur action est cependant souvent essentielle au succès des armes.

Né en Corse, Antoine Dominique Martinaggi reçoit la médaille militaire le 14/7/1895 pour son rôle lors de l'engagement de Tsarasoatra. Il participera quelques années plus tard à l'expédition Lamy et finira une belle carrière de sous officier comme adjudant.

Enfant naturel, Noel Villepontoux s'est engagé aux tirailleurs algériens en 1892. Après avoir formé des recrues indigènes, il est promu sergent et rejoint Madagascar en mai 1896 (après la fin de la campagne), où il va rester deux ans et rentrer décoré de la médaille militaire et de l'ordre d'Anjouan. Lui aussi participera à la mission Lamy à la compagnie d'escorte où il se distinguera en mars 1900 au combat de Logone au Tchad et sera blessé. Il y est cité "pour avoir commandé avec beaucoup de calme et de sang froid, s'être signalé par son entrain au moment de l'assaut et être arrivé parmi les premiers dans le camp ennemi". Il reprendra du service et sera blessé en 1914 comme capitaine et recevra la croix d'officier de la Légion d'Honneur.

Photo Eberhardt (Blida)

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La formation de la colonne légère et la prise de Tananarive

Début septembre le corps expéditionnaire, diminué des malades et des troupes échelonnées sur les voies de ravitaillement est regroupé à Andriba à 50 lieus de Tananarive. Afin d'atteindre la capitale Hova avant l'hivernage, Duchesne décide de former une colonne légère de 4.000 hommes et de réorganiser la zone de communication en scindant la direction des étapes en deux, un secteur nord sous la direction du colonel Bailloud et un secteur sud confié au Colonel Palle, initialement directeur de l'artillerie du corps expditionnaire.

Le 14 septembre la colonne légère se met en marche et après une marche difficile atteint Tananarive à la fin du mois. La ville est prise sans combat le 30 septembre. L'occupation militaire commence...

   

Joseph Paul Emile Bordeaux

Lieutenant au 1er régiment de tirailleurs algériens, Bordeaux rejoint le régiment d'Algérie durant l'expédition. Il participe à toute la campagne, de la prise de Marovoay, jusqu'à l'occupation de Tananarive.
Il reste à Madagascar jusqu'en aout 1896, se signalant à plusieurs reprises contre les rebelles, ce qui lui vaut la croix de la Légion d'Honneur : "A fait preuve pendant toute la campagne d'une très grande vigueur et très grande énergie. Le 22 avril 1896, après une rapide marche de nuit, a fait preuve de vigueur et de coup d'œil à l'attaque du village de Mananparakely où tous les rebelles qui l'occupaient ont été tués ou pris."

Revenu en France, il passe au 28e bataillon de chasseurs (notre photo avec sa famille). Il fait une belle guerre en 14-18, étant cité et blessé à plusieurs reprises et terminant sa carrière comme général de brigade, Grand Officier de la Légion d'Honneur. .


Sergent Mache, 200e RI
Photo Ramahanory (Madagascar)


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