Le 51e régiment d'infanterie sauve le drapeau
du 3e régiment des grenadiers de la Garde
Vers 17h à Rezonville, les prussiens tentent un nouvel assaut sur la gauche de l'armée française, vers le ravin de Gorze et au sud de Rezonville. Ce sont les troupes fraiches des VII et VIIIe corps prussiens qui vont rencontrer les unités de la garde impériale, la brigade Lapasset et la première brigade de la division du général Montaudon. Relisons l'ouvrage "Français et Allemands" de Dick de Lonlay, écrit dans son style patriotique inimitable :
Première défense du 51e régiment d'infanterie
Le 51 de ligne s'est mis en position sous le commandement du lieutenant-colonel Bréart qui dirige le régiment (le colonel Delbecque souffrant ce jour-là étant resté à l'ambulance du corps d'armée). Les trois bataillons du 51e se couchent toujours serrés en masse sur un terrain incliné ; au bas se trouve un ravin où ont pris position les deux bataillons du 3 régiment des grenadiers de la Garde. La canonnade prussienne continue de plus belle. Les meilleures troupes ennemies tentent toujours de déboucher des bois de la Haye Notre Dame et de la Côte Fusée. Mais toutes ces tentatives échouent devant la résistance du bataillon de chasseurs de la Garde, du 3e grenadiers de la brigade Lapasset et de la 1re brigade de la division Montaudon. A l'arrivée de cette dernière brigade le bataillon de chasseurs de la Garde a pris vigoureusement l'offensive ayant à sa droite le 51e et à sa gauche le 62e.
De son côté le 51 de ligne dont les bataillons restent toujours couchés par terre, reçoit avec un calme inébranlable la grêle de balles et de mitraille que les Prussiens ne cessent d'envoyer sur lui. Le lieutenant-colonel Bréart a fait déployer en tirailleurs en avant du bois des Oignons les 1ere et 6e compagnies du 1er bataillon. Les hommes font feu, couchés à plat ventre et maintiennent à distance les fantassins allemands. Ne recevant pas de nouvelles de la 1re compagnie que commande le capitaine Descoubès, le lieutenant-colonel de Bréart envoie un sergent de la 2 compagnie (capitaine Bruno) qui tombe blessé pendant le trajet et ne revient pas. Le lieutenant-colonel s'adressant alors au chef de ce bataillon, le commandant Bergère lui dit " C'est une compagnie de votre bataillon, allez voir ". Cet officier supérieur s'avance aussitôt à pied sous un feu terrible et tombe bientôt frappé d'une balle en pleine poitrine.
Commandant Bergère
51e régiment d'infanterie
Tué à Rezonville
Le commandant Lieutaud s'est mis le genou en terre en arrière de la ligne des tirailleurs. " Attention au commandement les enfants, dit-il, en joue feu… " A peine achève-t-il ce dernier mot qu'une balle entrant par sa bouche encore ouverte lui fracasse la nuque et le renverse foudroyé. Le 1er bataillon du 51 de ligne est le plus éprouvé ce jour-là et sur vingt officiers présents en perd quinze tués ou blessés. Le capitaine Bruno est traversé par une balle à hauteur des reins et meurt après onze jours d'atroces souffrances. Son camarade le capitaine adjudant major Verraux se penche sur le blessé pour lui serrer la main ; au même instant il est tué par une balle qui le prend au cou et ressort à hauteur de la ceinture. Le sous-lieutenant Duru est frappé en pleine poitrine. Le lieutenant Grousset reçoit un éclat d'obus dans le ventre. Le sous-lieutenant Avril de la 5e compagnie du 1er bataillon qui est sorti de Saint Cyr il y a un mois à peine, et dont le frère aîné est également sous-lieutenant à la 2e compagnie du même bataillon, a la jambe coupée par un éclat d'obus. Le capitaine de cette 2e compagnie, M Ségur, est grièvement atteint et meurt quelques temps après des suites de sa blessure.
Le 3e régiment des grenadiers de la Garde est menacé
Cependant vers quatre heures et demie de l'après-midi la situation du 3e grenadiers de la garde est devenue plus que critique. La lutte s'est engagée avec une violence extrême entre les deux bataillons de ce régiment et les masses profondes de l'ennemi. Le colonel Cousin, secondé par les commandants Herbillon et Lavollée, dirige la résistance. Auprès de lui l'aigle du 3e grenadiers fait flotter fièrement ses plis déchirés par les projectiles ennemis. Les vieux brisquards qui entourent cette aigle et l'officier qui la porte, le sous-lieutenant Marcel, lui aussi un ancien soldat, ont vécu longtemps ensemble. Tous ces braves se connaissent s'aiment et ont appris par de rudes épreuves à s'estimer mutuellement.
En arrière du drapeau et de sa garde se tiennent les douze sapeurs du 3e grenadiers. C'est à eux qu'incombe la noble mission d'en renforcer la garde si l'on combat en ligne. Si l'on forme des colonnes d'attaque, c'est encore les sapeurs qui doivent protéger le colonel contre les coups dirigés de trop près. Ils sont là douze et ils en valent cent. Le drapeau est bien gardé. La mitraille ennemie fait rage sur ce régiment. Tout à coup le commandant Lavollée du 2e bataillon du 3e grenadiers reçoit un obus qui éclate en plein entre les jambes de son cheval. La pauvre bête est mise en lambeaux ; son cavalier, lancé en l'air par la violence de l'explosion, retombe à terre sans connaissance et couvert de blessures. Le général Bourbaki, qui se trouve à peine à cinq cents mètres de l'endroit où était le commandant Lavollée, reste un instant fort surpris en voyant un cavalier et son cheval projetés en l'air au milieu d'un nuage de fumée et de poussière. Le commandant en chef de la garde envoie aussitôt son portefanion, le maréchal des logis Paul Frémy des chasseurs de la garde, s'assurer de cet accident. Ce sous-officier arrive sur le terrain au moment où l'on emporte le commandant Lavollée couvert de blessures auxquelles ce vaillant officier put heureusement survivre.
Commandant Lavollée
3e régiment des Grenadiers de la Garde
Blessé d'un coup de feu ayant traversé la cuisse
Ici Lieutenant Colonel de la territoriale sous la République
Au milieu de cet ouragan de fer qui s'abat sur le 3 grenadiers, le drapeau de ce régiment change trois fois de main ; les officiers qui le portent successivement sont tués ou blessés. Le sous-lieutenant porte aigle Marcel est tombé le premier, grièvement atteint, et a passé son drapeau au capitaine Geoffroy du 2e bataillon qui lui-même reçoit trois blessures ; un troisième officier ramasse cet emblème, mais est frappé d'une balle au front. Le colonel Cousin s'empare alors de l'aigle dont la hampe est brisée par une balle entre ses mains, mais il relève aussitôt ce drapeau et l'agite fièrement en s'écriant " C'est le drapeau du 3e grenadiers de la garde impériale ! les Prussiens peuvent le mutiler mais ils ne l'aborderont pas ! ". A ce moment l'ennemi fait une décharge générale sur ce malheureux officier qui tombe cribleé d'une vingtaine de balles et expire en tenant son drapeau serré contre sa poitrine mutilée et sanglante. Le capitaine Morand, un vieil officier qui est resté constamment au premier rang des combattants, saisit l'aigle. Le colonel, les deux chefs de bataillon, tout est par terre, mais sous ce feu terrible qui dure déjà depuis quatre heures pas un homme ne bronche.
Colonel Cousin
Colonel du 3e régiment des Grenadiers de la Garde depuis mars 1870
Promu officier de la Légion d'honneur
Le capitaine Volmérange bien que blessé prend alors le commandement des débris du 3e grenadiers.
Capitaine Volmerange
Blessé d'un coup de feu au thorax
Tué à Rezonville
Ces débris au nombre de deux cents sous-officiers et soldats et d'une dizaine d'officiers se groupent autour de l'étendard mutilé pour défendre dans une lutte corps à corps l'insigne du régiment. Citons parmi ces vaillants le capitaine adjudant major Chambry, le capitaine Lavigne, les lieutenants Tabareau, Heusch, Durand, Félix, Borie ; les sous lieutenants de Ganay , Bonnardel et Déliot. Ils sont là ces deux cents braves groupés autour de leur drapeau et se défendant comme des enragés contre les Prussiens qui surgissent de toutes parts des bois où ils se tiennent cachés. Juchée sur un petit mamelon, cette poignée de vaillants lutte avec le courage du désespoir à moitié enveloppée dans la blanche fumée de la poudre. " Au drapeau au drapeau ! " ne cesse de crier le vieux Morand qui agite en l'air le palladium sacré du régiment. Auprès de lui se tiennent avec une énergie et un courage dignes des plus grands éloges le sergent Morlas et le grenadier Hermann, ce dernier bien que blessé de deux coups de feu à l'épaule et au cou. Bientôt les cartouches s'épuisent, le feu cesse complètement. Enhardis par ce silence, les Prussiens débouchent en foule du ravin de Gorze et s'avancent sur les grenadiers. Hélas la défense à la baïonnette est impossible pour ceux-ci . Les chassepots ont été changés pendant l'action et les directrices des canons ne s'adaptent plus aux poignées des sabres baïonnettes. Nos soldats jettent alors sur le sol leurs armes inutiles et prenant à la main leurs sabres baïonnette s'apprêtent à défendre dans une suprême lutte corps à corps l'aigle du 3e grenadiers.
Capitaine Chambry Lieutenant Tabaraud Sous Lieutenant de Ganay
3e grenadier de la Garde
3e grenadier de la Garde
3e grenadier de la Garde
ici au 55e RI vers 1865
Blessé à Solférino d'un coup de feu à la jambe gauche
Cependant les Allemands s'approchent toujours. Un hauptman (capitaine) s'avance alors, croyant que nos grenadiers veulent se rendre. Ceux-ci auxquels il répugne de frapper un homme seul le laissent s'avancer. " Messieurs, dit l'officier ennemi avec arrogance, rendez-vous, vous êtes mes prisonniers ! " "C'est vous au contraire qui êtes le nôtre " , répond une voix mâle et vibrante, et un capitaine du 3e grenadiers se jette l'épée haute sur le hauptman. Les soldats font alors le cercle autour des deux officiers et assistent à ce duel qui dure à peine quelques secondes En un clin d'œil l'Allemand est terrassé et le capitaine de grenadiers lui passe son épée au travers du corps.
Le 51e régiment d'infanterie rétablit la situation
Le feu de l'ennemi redouble alors sur nos admirables grenadiers qui tous meurent à leur poste, mais la position est désespérée. Le petit groupe va s'éclaircissant, le drapeau n'est plus qu'une loque noire de poudre. Tout à coup le clairon retentit sonnant la charge avec fureur, des cris enthousiastes arrivent jusqu'aux combattants. Le drapeau du 3e grenadiers est sauvé. C'est le 3e bataillon du 51e de ligne conduit par le lieutenant-colonel Bréart qui arrive au pas de course.
En voyant les Allemands sortir audacieusement du ravin de Gorze, ce brave régiment s'est lancé en avant à la baïonnette se rabattant à gauche de Flavigny sur Tantelainville par les Carrières. Le 1er bataillon du régiment passant à gauche de Flavigny s'arrête sur un petit plateau vis à vis de Vionville, le 2e marche sur les Carrières et le 3e sur Tantelainville. Tous trois sont mêlés à des soldats de différents corps, notamment de la garde. Ce dernier bataillon apercevant la situation critique où se trouvent les rares survivants du 3e grenadiers, se lance à leur secours, fait à peine un temps d'arrêt pour envoyer une bordée de chassepot aux Prussiens et, descendant le mamelon, tombe sur eux à la baïonnette.
Le général Montaudon à pied, l'épée à la main, charge lui-même à la tête de ce bataillon. Signalons parmi les braves qui l'entourent le capitaine adjudant major Nieger les capitaines Cirou et Louaut, les lieutenants Estienne et Mayence.
Général Montaudon Capitaine Cirou
51e RI
Ici chef de bataillon sous la République
Abel Nieger Né le 24/8/1839 à Colmar. Saint Cyrien, il fait sa carrière militaire au 51e régiment d'infanterie. Nommé Lieutenant le 21/5/1859, il sert 3 ans au corps d'occupation de Rome (1860-1862) Il fait campagne au Mexique entre 1862 et 1867, participant aux principaux événements de la campagne et sillonant tous le pays : campagne, puis siège de Puebla, lutte contre les partisans dans l'Etat de Guanajuato, expédition de Mazatlan, expédition de la Sonora et prise de Guaymas. C'est lors de la prise de ce port du Pacifique, dernier lieu par lequel Juarez conservait une liaison avec la Californie, que Niéger est cité le 10/5/1865. Il est fait chevalier de la Guadalupe. Lors de la bataille de Rezonville, Nieger se fait remarquer par son cran : Le capitaine adjudant major Nieger possède l'âme d'un héros dans une enveloppe de glace. Déjà au début de l'action, voyant ses jeunes soldats manifester quelque inquiétude au moment où les obus pleuvaient littéralement sur eux, il a quitté sa place de bataille pour se placer sur son cheval devant le front des troupes et, devenant le point de mire des tirailleurs et pointeurs prussiens, il a allumé tranquillement un londrès qu'il a fumé jusqu'au bout sans changer de place. Tous ses camarades sont venus tour à tour lui demander du feu et causer avec lui et les soldats n'ont plus bronché. (Français et Allemands (D de Lonlay) Gièvement blessé sous la Commune, amputé d'une jambe, il doit mettre fin à sa carrière active. |
Colonel Bréart
51e RI