Le siège de Laghouat - Décembre 1852
La prise de Laghouat - Ja Beauce - RMN
Le
général Pelissier entraine les zouaves à l'assaut
Le commandant Morand est
l'officier portent le capuchon blanc.
En dépit des avancées de
la colonisation de l'Algérie, le sud des provinces d'Alger et d'Oran restaient
sporadiquement troublées par des revoltes des tribus Dans le courant de l'année
1852, ce mouvement semble se coaguler aux alentours de Laghouat, sous
l'impulsion du Chérif d'Ouargla, Mohammed ben Abd Allah.
Le général Pelissier, commandant la province d'Oran, est chargé de
réprimer ce soulèvement. Il forme une colonne à Oran qui quitte la
ville le 4/11/1852 et rejoint une seconde colonne partie de Saïda, sous les
ordres du général Bouscaren. Après avoir pris quelque repos et procédé au vote
sur le rétablissement de l'Empire (2823 oui sur 3119 votants), la
colonne repart et rejoint le 2/12/1852 une troisième colonne, celle du
général Yusuf déjà sous les murs de Laghouat.
La
ville est assise le long d'un mamelon rocheux coupé par un ruisseau, elle
dessine un amphithéatre de maisons basses autour desquelles court une muraille
crénelée. Au sud ouest, la casbah de Ben Salem dresse son minaret au dessus de
quatre maisons à deux étages, réunies par les terrasses, qui forment un véritable
réduit pour la défense. La clé de la position est le marabout de Sidi Aïssa
au sud est de la ville.
Liste des corps de troupes qui ont pris part au siège de Laghouat :
Détachements des 1er, 3e
et 4e régiments d'artillerie.
Détachements du 3e du génie.
50e de ligne,
un bataillon, lieutenant-colonel Gérard.
60e de ligne, deux bataillons,
colonel marquis de Liniers.
1er régiment de zouaves, un bataillon,
commandant Barrois.
2e régiment de zouaves, deux bataillons,
lieutenant-colonel Clerc, commandants Morand et Malafosse.
Le 1er bataillon
d'infanterie légère d'Afrique (zéphyrs), commandant Liébert.
Le bataillon de
tirailleurs indigènes d'Alger, commandant Rose.
Un détachement (une
compagnie) des tirailleurs indigènes de Constantine.
Quatre escadrons du 2e
de chasseurs d'Afrique, colonel Rame.
Deux escadrons du 1er de chasseurs
d'Afrique, colonel Lichtlin.
Deux escadrons du 1er de spahis, commandant de
Francq.
Deux escadrons du 2e de spahis, commandant de la
Tour-Landon.
Extrait de l'historique du 1e régiment de Zouaves (capitaine Godchot)
Le 3 décembre à 7 heures du matin, le général Pélissier décide immédiatement l'enlèvement du marabout d'El Hadj Aïssa par deux compagnies du 1er régiment de Zouaves.
Les Arabes se sont portés en masse sur le mamelon et les approches du marabout. A dix heures deux compagnies du régiment s'élancent à l'attaque. Pendant deux heures, les zouaves luttent et gagnent un peu de terrain. Le secours d'une compagnie du 2e régiment arrive trop tard, ils doivent battre en retraite en ayant éprouvé des pertes sensibles : quatre tués (dont les capitaines Frantz et Bessières) et 31 blessés dont le lieutenant Boquet et le Lieutenant Knauss.
Louis Henri Boquet |
Jean Baptiste Knauss |
Le soir l'arête du marabout est prise par le 2e régiment de zouaves. Un fois maître du mamelon, on démolit l'entrée du marabout ; face à la ville, on crée une embrasure à travers laquelle une pièce mise en batterie ouvre le feu contre la tour du mamelon et les murs de ce côté.
Le 4 décembre, vers 10h, malgré les energiques ripostes des assiègés, le général Pelissier voyant une partie des murs par terre décide l'enlèvement de vive force.
Extrait de l'historique du 2e régiment de Zouaves (Lieutenant Spitz)
Il est onze heures ; un
colonne de fumée monte tout à coup dans les airs ; c'est le bûcher qui
s'enflamme. La marche des zouaves retentit et les trois colonnes se mettent en
mouvement pour l'assaut (4 compagnies avec le commandant Malafosse à gauche, 4
compagnies avec le commandant Morand et l'aigle forment la réserve et les
compagnies du 1er zouaves forment la droite). Un flot humain s'avance vers la
ville, refoulant les Arabes qui, des jardins, tiraillaient toujours.
La
colonne de droite arrive sans difficultés au glacis, suivie de la réserve ; la
colonne de gauche doit parcourir un sol rocailleux, difficile et battu par les
feux croisés de la ville basse et de l'oasis ; elle oblique un peu sur la droite
pour s'appuyer sur la batterie de brêche ; à chaque instant tombent des hommes
frappés par les balles arabes ; au moment où elles atteignent enfin le pied du
glacis, les compagnies qui composent cette colonne ont déjà perdu 18 hommes,
mais il semble que leur élan ne fait que s'augmenter par ces pertes.
Le
véritable assaut commence alors sur toute la ligne. Sous les notes affolées des
clairons qui sonnent la charge, les huit compagnies escaladent au pas de course
les glacis ; il n'y a plus d'obstacles pour ces braves qui, comme une véritable
trombe humaine, se précipitent par les deux brêches dans la ville, le fusil en
l'air, pouissant mille cris de triomphe, parmi lesquels on distingue celui qui
pendant longtemps va désormais devenir le cri de la victoire : Vive l'Empereur
!
Les Arabes affolés s'enfuient devant les zouaves et tandis que les plus
agiles dégringolent les pentes à droite et à gauche pour chercher un refuge dans
la basse ville, les autres sont cloués sur les murs par les assaillants. La
haute ville est à nous.
Marchant sur les talons des fuyards, les zouaves
sans prendre un instant de répit, continuent leur course en avant : la colonne
de reserve avec le commandant Morand, tourne à gauche, la colonne de gauche se
dirige vers la casbah de ben salem, qui dresse au soleil son minaret et ses
terrasses d'où pleuvent les balles. En même temps, le colonel Cler, qui était
arrivé sur les brêches à la tête de ses zouaves, communiquant à chacun le
feu de son âme héroique, entraine les compagnies qui sont autour de lui
vers la Casba. Sa porte est solidement barricadée, mais sous l'effort des
zouaves du capitaine Fernier, elle cède et le flot des assaillants se précipite
dans la cour intérieure. Désormais toute resistance est vaine. Du haut des
terasses d'où l'on aprecoit toute la ville, on doit voir la colonne Yusuf qui
est entrée par le nord du côté de l'Ouad. Le colonel y monte et, saisissant
l'aigle du 2e zouaves, qui l'a suivi dans sa marche en avant, il la plante lui
même tout en haut du minaret. A travers la fumée de la bataille, le drapeau
flotte joyeusement dans l'air, annoncant pour la première fois à tous la
victoire des siens, tandis que les derniers défenseurs de la casba tombent
sous nos balles. La ville est considérée comme prise.
Dans l'assaut sont tués le commandant Morand et 7 hommes. Sont blessés le lieutenant Morand (son frère), le sous lieutenant Lemontagner, 4 sous officiers et 40 hommes.
Auguste Désiré Louis Marie Lemontagner Né le 4/1/1825, cet officier est sorti du rang. Il a rejoint le 2e régiment de zouaves en 1852 lors de sa promotion comme Lieutenant. Le 4/12/1852, il est blessé lors du siège de Laghouat d'un "coup de feu au dessus du téton droit". Il sert ensuite au sein du même régiment en Orient où il est blessé, puis durant la campagne d'Italie. Chef de bataillon en 1869, il se distingue en 1870. Il finit sa carrière comme Colonel, commandeur de la légion d'Honneur. Il est mort le 4/8/1897. |
Joseph Vincendon Né le 8/10/1833, Vincendon est caporal au 2e Zouaves le jour du siège de Laghouat. Il est chargé de construire le bûcher dont la mise à feu signalera aux troupes le début de l'assaut. L'historique du régiment relate qu'il "succédait à deux zouaves qui venaient d'être tués en essayant d'accomplir la même mission". Il fait partie des hommes cités lors de l'assaut : "Le caporal Vincendon et le porte-sac Arnaud se sont distingués à la batterie en remplaçant deux blessés et en construisant à leur place un bûcher sur le point le plus élevé des attaques". C'est le début d'une carrière exceptionnelle, émaillée d'actes héroïques (il récoltera huit blessures tout au long de sa vie) qui le mènera vers les sommets de la hiérarchie. Il est ici photographié comme capitaine du 2e régiment de zouaves.
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Louis Charles Auguste Morand C'est le fils du général Morand qui s'illustra sous le Premier empire.
Il est né le 20/12/1813 à Mayence et a fait Saint Cyr dans la promotion
d'Isly (1843-1845). Lieutenant au 2e régiment de Zouaves, il
s'élance à l'assaut de la ville aux côtés de son frère aîné, commandant le
bataillon. Il y est blessé à ses côtés et est promu Capitaine en récompense de son attitude. Bon sang ne saurait mentir, la carrière du cadet est tout aussi
héroïque que celle de l'ainé. Louis Charles se distingue à Magenta, à
Solférino, puis au Mexique. Il est lui aussi tué
à la tête de ses hommes à la bataille de Beaumont en 1870, alors qu'il
venait d'être nommé général. Il est ici photographié par LeGray dans la tenue des aides de camp
de l'Empereur, au camp de Chalons en 1856.
Extrait de l'historique du 1er régiment de Spahis
Deux escadrons sont formés sous le commandement des capitaines Du Barail et Martin, et placés sous les ordres du Chef d'escadrons Francq. La colonne se réunit à Boghari, gagne Laghouat où les escadrons forunissent sous les murs de la ville deux vigoureuses charges qui mettent l'ennemi en déroute après une défense désespérée ; le maréchal des logis Ali Ben Mohammed Lysseri est tué. Le 4 décembre, à 8 heures du matin l'assaut de la ville est donné, sous la direction du général Pelissier. Après une vive fusillade de part et d'autres et un combat qui dure deux heures, Laghouat est en notre pouvoir.
Dans cette chause affaire, les spahis dispersés autour des jardins et des mamelons qui entourent la ville, coupent la retraite aux fuyards et protègent l'entrée et la sortie des troupes, tout en couvrant l'artillerie. Un homme du 1er escadron est blessé à la tempe d'un coup de feu. Le 15 decembre, le capitaine du Barail est nommé commandant supérieur de Laghouat. Pendant cette brillant campagne, durant laquelle le 1er régiment de Spahis a soutenu la belle réputation qu'il s'est acquise, les militaires dont les noms suivent ont été l'objet de récompenses et de citations particulières.
Le général Yusuf a nommé sur le champ de bataille, à la suite des différents combats livrés devant Laghouat : maréchal des logis, le brigadier Maamar Sahraoui, Brigadiers : Gaddoum Bon Kouider et Lauer. Le chef d'escadrons Francq, le Capitaine du Barail et l'adjudant Sève sont cités à l'ordre du jour. Six croix de la Légion d'Honneur sont decernées à : M Francq (Chef d'escadrons), Buard (Medecin major), Lessage (sous Lieutenant), de Sanvitale (Sous Lieutenant au titre indigène), Sève (adjudant) et Lecoutreux (maréchal des logis).
Hugues Alexandre Louis de Sanvitale Né le 15/1/1827 au château de Fontanelatto, dans le dûché de Parme, de Sanvitale rejoint le 1er régiment de Spahis comme trompette le 29/8/1845. Après avoir gravi les grades de sous officier, il est promu officier (sous lieutenant) à titre étrandger en avril 1851, puis Lieutenant en janvier 1853. Il est fait chevalier de la Légion d'Honneur le 22/12/1852 après la prise de Laghouat. Promu Capitaine en juin 1859 (ici sur la photo), il permute en 1862 avec un autre officier et rejoint le 5e régiment de cuirassiers, comme adjudant major. Il donne sa démission un mois plus tard. |
Récit officiel de la prise de Laghouat, signé PÉLISSIER. Moniteur du 14 décembre 1852.
« Au quartier général de la maison de Ben-Salem, sous Laghouat, le 4. Décembre 1852 à midi.
MONSIEUR LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,
Je vous ai rendu compte, hier au soir, des dispositions que j'avais prises pour la journée de ce jour. Au lever du soleil, je me suis porté à la batterie de brèche établie au marabout de Sidi-el-Hadji-Aïssa. Les travaux avaient été poussés pendant la nuit avec une parfaite intelligence et une rare vigueur par M. le capitaine Brunon du génie et le lieutenant d'artillerie Caremel, sous les ordres du général Bouscaren. Je trouvai l'établissement de cette batterie assez complet et la disposition du front d'attaque assez favorable pour arriver promptement à une brèche praticable et pouvoir livrer l'assaut. Malheureusement, comme du col jusqu'à la batterie on était obligé de passer sous une pluie de balles, parties des tours et des jardins, et dont il était impossible de se défiler, le brave général Bouscaren fut blessé grièvement à la jambe pendant le trajet, mais j'espère que cette blessure n'aura pas de conséquences funestes.
Baptiste Charles Brunon Officier du génie, né en 1821, il est Capitaine depuis le 15 janvier 1852. Lors du siège, chargé de l'attaque principale, il enlève avec 400 h le marabout de Sidi el Adj Aissa, depuis lequel il fait élever la batterie de siège et les épaulements de protection sous un feu meurtrier. Le 4/12, il monte en tête de la colonne d'assaut avec une fraction de volontaires et prend temporairement la tête des opérations une fois les forces entrées dans la ville. Il arrive ainsi le premier à la casbah de Ben Selim qu'il enlève au prix de deux blessures au bras gauche qui vont nécessiter son amputation. Fait chevalier de la Légion d'Honneur pour son attitude durant la journée, il est chaudement recommandé par le général Pelissier pour être nommé chef d'escadron, mais sa jeunesse de grade de capitaine ne lui permet pas d'obtenir cette promotion. Il finit sa carrière comme Général de Brigade (ici photographié). |
A sept heures, je donnai
l'ordre d'ouvrir le feu et de détruire les trois tours et les courtines qu'il
fallait renverser pour entrer dans la ville. Ce feu fut admirablement conduit
par le lieutenant Caremel, officier dont je ne saurais trop louer le sang-froid,
le courage et la bravoure. Les assiégés nous répondirent par une mousqueterie
violente et par le tir de leur pièce dont plusieurs boulets se logèrent dans le
marabout qui servait de coffre à notre batterie; mais leurs efforts furent
inutiles; les tours et les courtines furent bientôt échancrées par nos boulets
et nos obus, et vers dix heures, la brèche se trouvait praticable.
J'avais prévu ce moment et donné tous mes ordres pour la disposition des colonnes d'assaut. Deux bataillons de zouaves, l'un du 1er régiment, sous le commandement du chef de bataillon Barrois, l'autre du 2e sous celui de M. le commandant Malafosse, devaient se réunir sur la brèche en passant, le premier sur le versant est du marabout, le second sur le versant ouest. Le commandant Morand, avec son bataillon du 2e de zouaves, devait servir d'appui à l'attaque, et enfin le lieutenant-colonel Gérard, avec deux compagnies d'élite du 50° et les compagnies d'occupation du marabout, devait assurer les derrières et les flancs des colonnes d'assaut. Lorsque mon aide de camp, le capitaine Renson, que j'avais chargé de veiller à cette organisation de l'attaque, vint m'avertir que tout était prêt, et que le capitaine Brunon du génie m'eut confirmé dans mon appréciation que la brèche était praticable, je fis sonner la marche des zouaves et la charge.
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François Engelbert Renson
Fils de sous officer, ancien enfant de troupe, l'intelligence de Renson lui a permis d'entrer à saint Cyr et d'en sortir dans les premiers rangs pour intégrer l'école d'état major. Il sert en Algérie depuis déjà 10 ans lorsqu'il se distingue au siège de Laghouat comme capitaine, aide de camp du général Pellissier. Il y est fait Chef d'escadrons en récompense de sa brillante conduite. Il finit sa carrière comme général commandant un corps d'armée (ici photographié par Alary et Geiser, dans grande tenue de colonel du corps d'état major).
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Les deux premières colonnes s'élancèrent comme l'ouragan et balayèrent les défenseurs de la brèche, malgré la résistance la plus fanatique et la plus opiniâtre; je m'élançai avec mon état-major et M. le colonel Clerc à la tête de, la colonne Morand, et quand j'eus franchi la brèche, je compris que la ville était à nous. Les trois bataillons de zouaves descendirent comme un fleuve de la position dominante qu'occupaient les tours, et, électrisés par leurs braves commandants, se dirigèrent vers la maison de Ben-Salem espèce de citadelle qui domine la ville; le lieutenant-colonel Deligny en fit enfoncer la porte, et bientôt l'aigle du 2e de zouaves et mon guidon de commandement flottèrent sur le minaret de cette maison, où le chaouch Ahmoudben-Abd-Allah entra le premier; à partir de ce moment, Laghouat était à moi.
Edouard Jean Etienne Deligny Deligny fait l'essentiel de sa carrière en Algérie à compter de 1840, soit comme officier de troupe, au au service des bureaux arabes. Il s'est déjà signalé lors de nombreuses expéditions, ainsi qu'à la bataille d'Isly. Il est Lieutenant Colonel depuis le début de l'année 1852. L'assaut de Laghouat lui vaut les épaulettes de Colonel, petite étape dans un carrière où il finira aux sommets. |
J'étais convenu avec le
général Yusuf qu'il commencerait son escalade sur la pointe nord de la ville,
dès qu'il apercevrait la fumée d'un feu que je devais faire allumer sur le
mamelon dominant de Sidi-elHadji-Aïssa. La fumée du canon et de la mousqueterie
absorbait celle du signal; mais à la cessation du feu de la batterie de brèche
et au bruit de notre sonnerie de la charge, cet officier général enleva les
campements qu'il avait devant lui, fit appliquer ses échelles et bientôt
franchit les murailles avec un élan irrésistible. Bientôt nous nous donnâmes la
main, et son guidon flottait à côté du mien sur la maison de Ben-Salem.
Cette
opération que je ne puis vous décrire que d'une manière très sommaire, afin de
ne pas retarder d'un instant la nouvelle d'un succès si honorable et si glorieux
pour nos braves troupes, a été brusquée avec une vigueur admirable. C'était un
spectacle magnifique, Monsieur le gouverneur général, et qui fit battre toutes
les âmes généreuses, que ce double assaut qui rappelle nos meilleurs jours. Je
ne saurais vous dire combien j'en suis fier, non pas pour moi, mais pour nos
soldats, si beaux quand ils franchissaient les murailles au cri de Vive
l'Empereur! et saluaient d'acclamations enthousiastes l'apparition de l'aigle du
2e de zouaves sur la maison de Ben-Salem.
Quand j'aurai réuni les rapports des chefs de corps, je vous raconterai le tout en détail et je vous citerai les noms qui méritent le plus de fixer votre attention. En attendant, je dois, dans ma colonne, vous désigner M. le lieutenant-colonel Deligny, qui non seulement a enfoncé la maison de Ben-Salem, mais s'est emparé du canon de la place; le capitaine du génie Brunon, blessé à l'assaut qu'il avait si bien préparé, et le lieutenant d'artillerie Caremel. Je ne saurais trop me louer des services intelligents et de la bravoure de M. le capitaine Renson, mon aide de camp, que je vous recommande d'une manière toute spéciale. Enfin je vous citerai d'une manière toute particulière le commandant Cassaigne, mon premier aide de camp; le commandant Joinville, chef d'état-major de la colonne; les commandants de zouaves Malafosse et Morand qui a été blessé, et dont le frère a eu le même sort, et le commandant Liébert. Le capitaine Manouvrier de Fresne est le premier officier entré dans la place. M. le général Yusuf se loue d'une manière particulière de M. le capitaine d'état-major Faure, son aide de camp; du colonel de Liniers du 60e de ligne, du commandant Rose, des capitaines Gérard et Beaudoin, des lieutenants Ritter et Entz.
Officiers cités dans le rapport du général Pelissier
Etienne Hugues Rose |
Jules César Faure |
Jean Pierre Martial Ritter |
Charles Alexandre Fay Lieutenant Colonel Lichtlin Colonel de Liniers
Officer d'état major
"A eu un cheval tué sous lui"
Cité à l'ordre du jour
Chasseurs d'Afrique
60e régiment
Promu général de brigade
Je fais occuper
régulièrement la ville la lutte se continue encore dans les jardins;
l'infanterie y massacre les derniers défenseurs; la cavalerie sabre tout ce qui
tente de s'échapper de l'enceinte des palmiers; pas un de ces fanatiques
n'échappera. Je ne sais pas encore le sort du chérif; il faudra le chercher sans
doute parmi les cadavres. Les femmes, les enfants ont été respectés, et les
soldats auxquels j'avais recommandé la générosité ont montré autant d'humanité
que de bravoure. Je ne puis encore vous parler de nos pertes; les précautions
prises et l'impétuosité de l'attaque me font espérer qu'il ne se mêlera pas trop
de regrets à la joie de la victoire.
Aux éloges que j'ai donnés à
l'infanterie, je dois ajouter surtout celui des armes spéciales l'artillerie a
dignement fêté la Sainte-Barbe, et les sapeurs du capitaine Schœnnagel, qui
étaient en tête de l'attaque du général Yusuf, ont été les dignes émules du
capitaine Brunon. Le train a rendu de vrais services. La cavalerie du colonel
Rame du 2e de chasseurs d'Afrique et celle du lieutenant-colonel Lichtlin du ler
de chasseurs d'Afrique poursuivent les fuyards au moment où je vous écris, et
j'aurai sans doute à vous signaler les services de cette arme. On m'apprend à
l'instant que le capitaine du Barail a tué le cadi de Laghouat.
Je vous
prie d'excuser la rédaction de cette lettre, écrite au milieu des derniers'
coups de fusil et sous l'empressement bien naturel de vous apprendre cet
important résultat.
« Agréez, etc.
Le général de division commandant en
chef la colonne du Sud,
« A. PÉLISSIER. D).
D'autres décorés lors de la bataille
Lieutenant de Colomb |
Gaspard Casimir Drivon |
Jean Hyppolyte Amat |
Jean Etienne Louis Gary |
Mémoires du général du Barail
Le 3 décembre, le général
Pélissier, ne laissant au camp que la garde strictement nécessaire, fit prendre
les armes à toutes les troupes, pour reconnaître la place et déterminer le point
d'attaque. En voyant se former nos colonnes, les Arabes crurent que l'instant de
la lutte suprême était arrivé, et sortirent en grand nombre, pour défendre les
approches. Embusqués dans les rochers, abrités derrière les murs des jardins,
ils commencèrent eux-mêmes le feu. Nous eûmes, pendant cette journée, plus de
cent hommes tués ou blessés, et principalement au marabout de
Sidi-eI-Hadji-Aïssa, petit monument bâti sur un des pitons qui font suite aux
rochers de l'ouest. Cette position, qui commandait l'enceinte, fut prise et
reprise plusieurs fois, parce que le général, qui ne voulait pas la garder, la
faisait abandonner, après chaque prise, et reprendre, dès que les Arabes y
revenaient, pour ne pas leur laisser l'apparence d'un succès. C'est là que fut
blessé mortellement le capitaine de zouaves Bessières, parent de l'illustre duc
d'Istrie, jeune officier promis au plus brillant avenir, et qui mourut, au bout
de deux jours, du tétanos et de la résorption purulente.
Pendant que
l'infanterie combattait, la cavalerie était en bataille autour de l'oasis, pour
en compléter l'investissement. Elle eut affaire avec l'unique pièce de canon de
la place. Mais ses pointeurs, au lieu de s'attacher à un point précis et de
rectifier leur tir, distribuèrent des boulets à tous les groupes de cavaliers
qu'ils découvraient et n'en atteignirent aucun.
Le général Pélissier, sachant
ce qu'il voulait savoir, ramena les troupes que l'ennemi fit mine de poursuivre,
malgré ses pertes. Il fallut une forte arrière-garde pour le contenir dans ses
jardins.
Dans la nuit, le général en chef fit enlever, presque sans coup
férir, le marabout sur lequel il voulait placer sa batterie de brèche. Le poste
qui le gardait fut surpris et détruit. Aussitôt, les deux pièces de campagne de
la colonne d'Oran y furent amenées à bras d'hommes, et on construisit des
épaulements avec des sacs à terre. Le marabout, crénelé et garni, lui aussi, de
sacs à terre, devint le réduit et le magasin des munitions. Enfin, la position
fut fortement gardée et mise en état de défense. C'était de là que devait partir
la colonne d'assaut. Au point du jour, la batterie commença son feu. Derrière
elle, protégée par l'inclinaison du rocher, était massée la colonne d'assaut,
composée de deux bataillons du 2° de zouaves, commandés par le
lieutenant-colonel Clerc.
En même temps, les troupes du général Yusuf, sous
les ordres duquel s'était rangée la petite colonne de Bouçaada, prenaient
position vis-à-vis de la porte de l'Est. Elles étaient munies d'échelles et
devaient tenter l'escalade, dès que les troupes d'Oran couronneraient, à
l'ouest, la brèche ouverte par l'artillerie.
Nous autres, les cavaliers, nous étions comme la veille répandus autour de l'oasis, pour ramasser les fuyards. Du point où j'étais, je voyais parfaitement arriver les boulets sur le mur d'enceinte. Ils commencèrent par faire des trous ronds dans la brique crue. Bientôt, l'ensemble de la construction se désagrégeant, un large pan de mur tomba, ouvrant une brèche et nous découvrant en même temps les défenseurs groupés derrière les murs, à l'abri des tours, et prêts à fondre sur l'assaillant. Le canon de la place avait répondu de son mieux, mais ses boulets se perdaient dans nos sacs à terre. Enfin, dominant toute la scène, assise sur les rochers du quartier des Hallaf, se dressait la maison de commandement de l'ancien khaliffa. On l'appelait Dar-Séfa. C'était pour les Arabes le dernier refuge, la citadelle. Vers onze heures, le canon se tut. Nous entendîmes de grands cris, aussitôt suivis d'une vive fusillade. La colonne d'assaut apparaissait sur la brèche où les zouaves bondissaient comme des démons. En même temps la colonne de Médéah opérait son escalade à l'est, s'enfonçait dans la ville et venait se réunir à la colonne d'Oran, au pied de Dar-Séfa. Enfin, à midi, les deux généraux se donnaient la main sur la haute terrasse de la maison de commandement, aux acclamations de leurs soldats, pendant que sur leurs têtes on hissait les trois couleurs victorieuses. La ville était prise d'assaut.
Elle subit toutes les
horreurs de la guerre. Elle connut tous les excès que peuvent commettre des
soldats livrés un instant à eux-mêmes, enfiévrés par une lutte terrible, furieux
des dangers qu'ils viennent de courir, furieux des pertes qu'ils viennent
d'éprouver, et exaltés par une victoire vivement disputée et chèrement achetée.
II y eut des scènes affreuses. II y eut aussi des actes d'humanité vraiment
touchants. J'en vais citer un. Les rues et les maisons étaient remplies de
cadavres d'hommes, de femmes et même d'enfants que les balles aveugles n'avaient
point épargnés. Je vis deux soldats du bataillon d'Afrique, de ceux qu'on
appelle des zéphyrs, détacher du cadavre de sa mère éventrée par un coup de
baïonnette, un pauvre petit moricaud de trois ans, raidi par la terreur. Ils
l'emportèrent dans leurs bras, et le soir même le firent adopter par la
compagnie qui l'éleva. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Mais longtemps, à
Laghouat, je l'ai vu suivre ses nombreux pères d'adoption et marcher derrière
eux, fier et content, le pauvre petit.
Pendant le carnage, les fuyards
étaient venus donner dans le filet de cavalerie. On sabrait tous ceux qui
résistaient, et on envoyait ceux qui faisaient leur soumission rejoindre le
troupeau lamentable formé par toute la population de Laghouat, hommes, femmes,
enfants, tout cela prisonniers, à la merci du vainqueur, sans qu'aucune
convention protégeât les vies ni les biens.
Et le chérif, le
Mohammed-ben-Abdallah, de la chose? Où était-il? Nous espérions bien le pincer
au débucher. Mais, pour cela, il eût fallu fouiller sur l'heure tous les
jardins, tous les recoins, tous les puits. Ou bien le général Pélissier n'y
pensa point, ou bien, ce qui est plus probable, il ne voulut pas exposer à de
nouvelles fatigues, à de nouveaux dangers ses troupes exténuées et d'ailleurs
débandées. Le chérif se tint caché, avec quelques guerriers, au fond d'un
jardin, et pendant la nuit, il gagna au pied et échappa aux patrouilles qui
circulaient autour de l'oasis.
Parmi les nombreuses
victimes tombées glorieusement sur la brèche de Laghouat, il en est une à qui je
dois une mention particulière et que le lecteur, d'ailleurs, a déjà vue passer
dans ces Souvenirs le général Bouscaren, commandant en second la colonne d'Oran,
sous les ordres de son ami Pélissier. Au moment où la colonne d'assaut partait
de la batterie de brèche, il reçut une balle qui lui brisa la cuisse, au-dessus
du genou. On l'emporta au camp, sur un brancard improvisé. Il était très
populaire dans l'armée, et les soldats qui étaient restés au camp, en le voyant
rapporter, le saluèrent, dans un élan spontané, de ce cri "Vive le général
Bouscaren" Alors, lui, se soulevant "Non, mes amis, dit-il, ce n'est pas cela
qu'il faut crier, c'est a Vive la France"
11 faut aussi consacrer un hommage
spécial à une autre mort glorieuse celle du commandant Morand, qui fut tué en
enlevant, sous une grêle de balles, son bataillon de zouaves sur la brèche. Il
était le second fils de l'illustre général Morand, le chef de l'une des trois
fameuses divisions de Davout, à Auerstaedt, l'auteur de l'Armée suivant la
Charte. Il avait deux frères qui, comme lui, moururent au feu, dans les grades
supérieurs.
Le général Pélissier ne savait réellement que faire de sa conquête. On n'avait jamais songé à placer si avant dans le Sud une garnison française, et, pour entretenir si loin de la côte notre influence, on avait toujours compté sur des complicités indigènes qui venaient de manquer. Le général eut, un instant, l'idée de frapper de terreur la contrée par un grand exemple, et de détruire Laghouat de fond en comble, en rasant les maisons et en arrachant les palmiers, en transportant, enfin, la population entière sur un autre point de l'Algérie, et pendant plusieurs jours, nous vîmes, chaque matin, partir des corvées qui allaient abattre des palmiers et faire tomber les clôtures des jardins. Cependant, à Alger, on recula devant ce vandalisme, et, quand l'ordre arriva d'y renoncer, les vainqueurs, trop peu nombreux d'ailleurs pour ce travail grandiose, n'avaient encore tracé dans l'oasis qu'une vaste tranchée qui devint un beau boulevard, coupant les jardins et conduisant aux portes de la ville. En attendant qu'il fût statué sur l'avenir de la malheureuse oasis, la garde de la ville avait été confiée aux deux bataillons de zouaves du lieutenant-colonel Clerc qui s'étaient établis dans les maisons abandonnées, sans un très grand souci de la conservation de ces édifices. La population entière, considérée comme prisonnière de guerre, était parquée à côté de notre camp et gardée par deux compagnies d'infanterie. On lui apportait, chaque jour, quelques caisses de biscuit de troupe, et, matin et soir, on la menait boire à la rivière, comme du bétail.
Jean Joseph Gustave Cler Né le 10/12/1814 à Salins, Cler rejoint l'Algérie en 1841 comme
capitaine adjudant major du 2e bataillon d'infanterie légère d'Afrique et
sa carrière va s'accélérer. Il y sert d'abord six ans et fait campagne
avec Bugeaud et Saint Arnaud, puis y retrourne comme Lieutenant Colonel (avril 1852) au 2e régiment de
zouaves, unité d'élite qu'il va commander au feu lors de la prise de
Laghouat où il plante le drapeau du régiment sur le minaret de la
ville. Ce héros doit néanmoins subir la colère de Pelissier peu après la
victoire, ainsi que le relate du Barail : "Le général ne pouvait pas
sentir le colonel Clerc, grand et superbe officier, à la taillé svelte,
aux traits fins, à l'abondante chevelure, très soigné, très élégant, très
musqué même, qui avait une apparence tout à fait juvénile. Cler s'illustre de nouveau en Crimée, puis en Italie, où il est tué le
4/6/1859 à Magenta, en conduisant l'assaut de la Garde Impériale sur le
pont du Naviglio Grande.
Pendant que
nous attendions tous en silence l'inhumation des soldtas tués lors de
l'assaut, le général interpella brusquement le colonel, en lui disant
"Colonel, vous avez enfreint l'ordre formel que j'avais donné".
"Et lequel, mon général ?" "J'avais prescrit de faire porter
au quartier général toutes les armes de prix trouvées dans Laghouat. Or,
vos zouaves ont vendu des fusils garnis de capucines d'argent et
d'incrustations de corail. Vous-même avez acheté une de ces
armes."
Le colonel essaya de se justifier, en alléguant qu'on avait
exagéré la valeur de ces armes; qu'il avait acheté à un zouave un fusil,
comme souvenir du combat; qu'il n'avait pas cru enfreindre les ordres. Ces
explications ne firent qu'irriter davantage le général, et nous entendîmes
des phrases véritablement disproportionnées avec la faute commise, en
admettant qu'il y eût eu faute. "Vous avez sali nos triomphes. Je
vous ferai passer devant un conseil de guerre". Comme le colonel
continuait à se défendre, le général lui dit "Rendez-vous aux
arrêts", et, sa victime ne bougeant pas, il ajouta « aux arrêts
de rigueur », ce qui entraînait la cessation immédiate de tout
service.
Alors, le colonel Clerc, débouclant son ceinturon, jeta son
sabre aux pieds du général, qui, comprenant qu'il était allé trop loin,
dit aussitôt « Reprenez votre sabre". L'officier obéit, au milieu
d'un silence de mort. Les efforts qu'il faisait pour se contenir lui
faisaient venir les larmes aux yeux. "Vous pleurez, colonel" dit
l'impitoyable Pélissier. "Ce sont les nerfs, mon général".
Eh bien, buvez un verre d'eau, cela les calmera".
A ce moment, les
prolonges chargées de cercueils débouchaient sur la brèche, l'abbé Suchet
montait à l'autel. Le service divin fut suivi de la bénédiction dernière,
et les corps furent déposés dans les fosses.
Le général laissa tomber
sur eux quelques-unes de ces paroles pleines de sensibilité et d'énergie
dont il avait le secret, et le colonel Clerc lut un discours fort
éloquent. Ce discours se terminait par l'éloge du général et par
l'expression des sentiments de respect, de confiance et de dévouement que
les troupes nourrissaient pour celui qui venait de les conduire à la
victoire. Le colonel lut ce passage très vite, et sans lever les yeux sur
son chef. Et nous nous séparâmes sur la double et triste impression de
cette cérémonie funèbre et de la scène pénible qui l'avait accompagnée.
Mais, avant de nous éloigner, nous vîmes le commandant Cassaigne, premier
aide de camp du général Pélissier, le seul peut-être qui eût quelque
influence sur cette âme de fer, et le colonel Deligny qui venait de
marcher à la tête de la colonne d'assaut, s'approcher du colonel Clerc et
lui serrer ostensiblement la main, pour bien lui marquer qu'il n'avait
perdu ni l'estime ni l'affection de ses camarades.
En accompagnant son
chef au quartier général, Cassaigne affecta de garder le silence et de ne
répondre que par des monosyllabes aux efforts que faisait le général pour
soutenir la conversation. Ce dernier, n'y tenant plus, finit par lui dire
« Cassaigne, vous me boudez ?" "Certainement; on ne traite pas un
brave officier comme vous venez de le faire." C'est bon allez
chercher votre ami Clerc et emmenez-le dîner avec nous. » Le colonel
Clerc vint, le soir, dîner au quartier général; et il ne fut plus question
de rien."